Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa
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Such a perfect

Your land isn’t mine
A hand changing the course of time
Except it didn’t
No thigh no hip no nerves
Just there, somewhere, while mine 

Then in your bed the mirrors on the wall
Raining on me drowning
Boring life too heavy
There’s no way I’ll bend down and pick up
Those dirty little crumbs of yours
I didn’t even expect your heart to be so see
I won’t feel responsible

Talking about chemistery
Leaving none of it at all
No words like veils, no curtains, walls, shade
Just a blinding light of evidence
Too plain to fight or wish or crave

I’d rather go back to the day you left
The pain, the rain, the pleasure of knowing
Some of it would remain
True
Because it didn’t really happen
Just a distant memory


James Lee Byars - The Perfect Kiss

Degré Zéro de l'écriture

Tu le sais ça, que tout ce que je vois moi c’est ta délicatesse. Que tout ce que je sais c’est que je ne comprends rien à rien. Que je suis incapable d’expliquer. Que je ne peux même pas raisonner en termes de type d’envie puisque je vois très bien cette putain d’attitude ce qu’elle dit en vrai sur le fond de ta personne et que ce n’est pas la première fois que ça m’arrive ça cette sensation étrange de savoir qu’en fait je ne devrais pas du tout être là comme ça. Comme si tout à coup je devenais homosexuelle non pas de genre mais de type d’envie. Deux prises et pas de branchement puisqu’on veut tous les deux se faire frapper.

Je sais que je vois juste on me l’a dit c’est comme si je promenais ma chair sans peau dans la vie. C’est sûr ça fait que je suis infectée, fragile et malade comme un chien tous les jours de l’année mais ça fait aussi qu’on peut pas me mentir à moi. Que je sais ce qui sonne juste et faux. Que je suis une handicapée exacerbée de la vie.

Et d’ailleurs ma chair à vif, ma fleur de peau sans peau, tout ça. Tu le sais toi que c’est ce qui fait que j’écris encore toujours et qu’à chaque mot que je formule je m’éloigne un peu plus du vrai tout en le cernant un peu mieux. Et tu crois peut être que de faire ça c’est une façon de m’exprimer. Que je préfère l’écriture à la vie parce que c’est ce que je crie partout. Si tu croyais ça, remarque, tu serais dans le vrai. C’est ce que je veux de toute ma volonté. C’est ce que je désire de toute ma libido. Le seul problème, c’est que c’est mortifère. Ecrire moi ça me tue. Chaque mot me rapproche de la mort. Plus que l’alcool. Plus que n’importe quelle autre drogue. Plus que le sexe non protégé. Plus que les coups. Plus que tout.

Note : quand j’écris sur toi, pire encore que quand j’écris sur moi ou sur n’importe quel autre, je perds ma langue. Le plus significatif : les genres se mélangent et je me met à nommer le chaise et la tabouret comme un putain d’anglais qu’a rien compris aux déterminants en français. Je deviens folle, je gratte la peau du réel. Je ne regarde plus les gens. Je longe les murs. J’ai peur du dehors. Je crois que tous les passants veulent me tuer. Je méprise tous ces tubes digestifs qui se font appeler êtres humains alors que d’humain ils n’ont que l’apparence. Qu’ils camouflent sous des billets convertis en cuir c’est sûr. Humanité qu’ils clament haut et forts à coup d’avis bien arrêtés sur des choses sans importance.

Cliché

Il y a cette photo. Je t’avais vu avant. Et je t’ai vu déjà. En vrai, pour de vrai dans la chair. Il y a un truc dans les yeux. Ce regard qu’ont les chiens. Ceux qui sont gentils. Et ceux qui n’ont rien à voir avec l’image qu’on a de toi autrement. Parce que quand on ne te connait pas on croit, comme ça, que t’es méchant. Que tu vas nous bouffer. Que t’es un ogre, un ours, un mâle sec.

Quand on voit cette photo de toi. Plus jeune. On pense que tu souffres dans la vie. On pense à Brel. On pense à Baudelaire. En fait on pense à Vian. On pense à tous ces hommes terriblement aiguisés qu’on voudrait prendre dans ses bras et serrer. On se dit qu’on serait bien comme ça. On oublie trop facilement à quel point un mâle fragile ne sort jamais sans un poignard, prêt à le planter dans le dos de la moindre femme un peu rassurante.

Il y a ce truc très sensuel sur ta photo qui contraste avec la raideur de ta posture dans la vraie vie. Ce truc qui fait qu’on sait que tu n’as pas peur de la chair. De ses méandres. Que tu t’y plonges avec plaisir. Je crois que ce sont tes lèvres qui disent ça. Entrouvertes, offertes. C’est mal je sais qu’une femme parle comme ça, avec franchise, de ces aspérités un peu douces. De la fragilité qui se dégage de certains hommes.

La photographie, en général, c’est effrayant. Le vertige. Le passé, cet instant de vie qu’on t’a pompé comme un vampire. Et cette photographie-là c’est pire encore parce qu’on y voit tous tes âges. On sait ce que ça donnait quand tu courais dans les rues de tes origines. On voit ce que ça donnera toi affaibli par les années. On voit très bien à quel point c’est logique que le monde tel qu’il est te défonce les entrailles et te fasse cracher ta bile sur les passants.

A la fin, ce sont les lignes et les contrastes de luminosité qu’on retient. Elles parlent de toi mieux que le reste. Sillons sur ta peau. Courbe de ta nuque. Ponctuation des femmes en arrière plan. Floutées. On se dit que c’est une femme qui tient l’appareil. Que cette femme a accès à ce qui en toi n’est pas révolté. Qu’elle a de la chance. Qu’elle est généreuse. Qu’on la remercie.

FdA pastiche #1

La peau, unique et personnelle. Enveloppe la chair et le corps. Seul accès au corps. La peau, mienne, immuablement mienne. La peau, sa force. La peau autre, mienne et autre. La peau qui mue. Qui change en réaction à celle de l’autre. La peau qui pleure. La peau qui jouit.

 Quand la peau change, l’œil change avec, la langue change avec. La salive se perd et les nerfs tremblent, tentant de reprendre pied dans ce monde transformé. Retendue, la couverture des entrailles se redessine, les pieds changent de forme, la main retrouve le sens du touché. Pareil et autre. La nouveauté mais pas seulement.

Quand la peau subit cette influence étrange, c’est l’existence entière qui se défroisse pour trouver de nouveaux plis.

Le langage est une peau: je frotte mon langage contre l'autre.

Dans le discours a. comme dans tout discours, il y a trois entrées : la volonté, l’intellect et le toucher. Le sens nait de la tension opérée entre ces trois infléchisseurs du langage. Ce que mon toucher (mon affect, mon émotion, mon corps propre) dit au destinataire, je veux qu’il le perçoive d’une certaine façon qui est celle dont mon intellect le conçoit. Ainsi, le discours, avant même qu’il ne devienne dialogue est une tension, il n’est pas stable et, à cause du jeu de balanciers entre trois forces opposées (en lutte, en jeu de domination), est à proprement parler insaisissable. C’est pourquoi ma réponse ne sera pas la même en fonction de la question : qu’est-ce que tu veux dire ? n’est pas comment je dois lire ? ni qu’est-ce que ça signifie ? parce que non seulement le discours tremble, même fixé noir sur blanc, il vacille tout distordu qu’il est entre les trois injonctions originelles, mais il échappe à son locuteur dès lors qu’il existe. Sa naissance coïncide avec sa mort puisqu’il n’est que la projection d’une pensée valable à l’instant T, lui-même si bref qu’il est annulé par T+1 dès qu’il s’actualise. Ainsi, dans le discours a. comme dans tout discours, ce n’est pas le discours qui importe mais son effet.

Premièrement, celui qu’il produit sur son locuteur – logiquement libérateur, il peut aussi s’avérer dévastateur s’il est produit – et donc mort – avant que les instances originelles ne l’infléchissent. 

Deuxièmement, et c’est là une forme de raison d’être, comme au ping pong la frappe de l’adversaire est la raison d’être de ma raquette, lorsque le discours devient dialogue, la trinité des injonctions est à la fois annihilée par l’existence d’un miroir autre, par un rapport alternatif et intensifiée par le jeu, par l’échange. Mon discours résultat du jeu de domination de mes trois entrées produit un effet sur un locuteur qui à son tour produit du sens, non pas pur mais réaction à l’énergie proposée par le mien. 

Ainsi, comme lors d’une partie de ping pong, l’échange, tout en se résumant à l’équation balle – raquette – table – balle – raquette, est la création d’un mouvement, d’un rapport d’énergies qui se nourrissent ou s’annihilent. 

Si je lance la balle droite dans mon discours et qu’on me la renvoie avec un effet, je peux la rattraper. Cependant, si je persiste à lancer droit, dans une intension d’exhiber le jeu de mes rapports de forces, je vais finir par succomber à l’effet qui, parce qu’il est travaillé, rompt mon geste et avorte ou castre mon propos qui devient une roue libre, un grand brassement d’air, une énergie qui pousse sans rencontrer la résistance demandée et qui s’effondre, en toute logique. Ce qui arrive souvent, dans le cas du discours a., le plus creux et le plus fourbe de tous parce que le plus intense.

Chambre Claire - punctum

Sur l’affiche qu’il faut lisser pour qu’elle colle et s’immerge dans le mur est posée la main. Au niveau de l’aine du personnage, la main glisse ou appuie, intègre le mur photographié au mur existant. Autour de la main, le mur, sous la main, le mur et le corps aplati, imprimé de cette femme, de ses jambes et de son jean. Précision, douceur, fermeté : ce qu’il faut pour que l’affiche prenne et se fonde dans son paysage. Doigté de la main dont toute la surface doit agir pour que le processus fonctionne. Photo de la photo, gouffre abyssal des perspectives et la main qu’on peut sentir, toucher, humer parce qu’elle existe bien, quelque part.

Voilà le punctum.

Chambre Claire


D’instinct, j’aurais dit que ça se faisait calmement, campé sur ses jambes, après avoir longuement visé la cible. J’imaginais que c’était comme un ogre qui mangerait le jour et ses couleurs, consciencieusement : en mastiquant avec soin. D’autant qu’on les voit, à tous les coins de rue, ces dévoreurs d’images amateurs, en train de voler le dessin d’un nuage ou le rire d’un enfant. Je pensais vraiment que c’était pareil, une histoire de lâcheté : enregistrer la vie ou la vivre. L’ogre se cache derrière son repas de couleurs comme l’enfant enfouit son visage dans les plis de la jupe maternelle. Mais pas du tout, il ressemble à un chat. Il ne vole pas l’image, il vient se frotter à ses jambes et lui dire qu’il l’aime. Il s’approche, il tend l’objectif et il saisit. Ça mitraille. Lui seul sait pourquoi. On voit tous la même chose et pourtant, ce qu’il nous montrera sera le fruit de son œil. On disait qu’elle aller violer la peinture. On disait que le dessin ne faisait plus sens. Quand le dessin, pourtant brillant, s’est inspiré de l’œil et de la profondeur de champ, quand le dessin à joué sur les nuances de blanc, on a cru à une blague. On a dit que c’était parce que c’était lui, parce qu’il retravaillait déjà les papes de Velasquez. On n’avait rien compris.

Mythologies


C’est parce que le diktat du corps pervertit qu’il avait décidé de ne plus la toucher.

C’est que les sécrétions hormonales envoûtent l’odorat servile.

Il l'avait tenue éloignée, pour se désintoxiquer.

La Beauté est fourbe, même à distance.

Il lui fit donc raser le crâne.

Mais les cheveux n’y sont pour rien.

Son esclave écorcha la fille comme on pèle une orange : avec application, en faisant bien attention à ne pas déchirer la peau.

« La cornée se souvient. »

C'est ce qu'il s’était dit avant de s’arracher les yeux avec ses petits doigts boudinés.

Il avait erré comme une âme en peine.

Un spécialiste était venu lui faire une lobotomie, pour cautériser la douleur qui irradiait tout son être.

A la fin, il se fit faire un splendide poignard ; avec un manche incrusté de pierres, travaillé par ses meilleurs orfèvres.

De ses propres mains.

Dans ses toutes petites paumes, il sentit avec délectation la douce chaleur de son cœur enfin apaisé.

C’était le dernier des grands sultans.