Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Cliché

Il y a cette photo. Je t’avais vu avant. Et je t’ai vu déjà. En vrai, pour de vrai dans la chair. Il y a un truc dans les yeux. Ce regard qu’ont les chiens. Ceux qui sont gentils. Et ceux qui n’ont rien à voir avec l’image qu’on a de toi autrement. Parce que quand on ne te connait pas on croit, comme ça, que t’es méchant. Que tu vas nous bouffer. Que t’es un ogre, un ours, un mâle sec.

Quand on voit cette photo de toi. Plus jeune. On pense que tu souffres dans la vie. On pense à Brel. On pense à Baudelaire. En fait on pense à Vian. On pense à tous ces hommes terriblement aiguisés qu’on voudrait prendre dans ses bras et serrer. On se dit qu’on serait bien comme ça. On oublie trop facilement à quel point un mâle fragile ne sort jamais sans un poignard, prêt à le planter dans le dos de la moindre femme un peu rassurante.

Il y a ce truc très sensuel sur ta photo qui contraste avec la raideur de ta posture dans la vraie vie. Ce truc qui fait qu’on sait que tu n’as pas peur de la chair. De ses méandres. Que tu t’y plonges avec plaisir. Je crois que ce sont tes lèvres qui disent ça. Entrouvertes, offertes. C’est mal je sais qu’une femme parle comme ça, avec franchise, de ces aspérités un peu douces. De la fragilité qui se dégage de certains hommes.

La photographie, en général, c’est effrayant. Le vertige. Le passé, cet instant de vie qu’on t’a pompé comme un vampire. Et cette photographie-là c’est pire encore parce qu’on y voit tous tes âges. On sait ce que ça donnait quand tu courais dans les rues de tes origines. On voit ce que ça donnera toi affaibli par les années. On voit très bien à quel point c’est logique que le monde tel qu’il est te défonce les entrailles et te fasse cracher ta bile sur les passants.

A la fin, ce sont les lignes et les contrastes de luminosité qu’on retient. Elles parlent de toi mieux que le reste. Sillons sur ta peau. Courbe de ta nuque. Ponctuation des femmes en arrière plan. Floutées. On se dit que c’est une femme qui tient l’appareil. Que cette femme a accès à ce qui en toi n’est pas révolté. Qu’elle a de la chance. Qu’elle est généreuse. Qu’on la remercie.

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