Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Marielle

Marielle ne supporte pas les gens. Ça l’effraie. Pire, ça la dégoute. C'est-à-dire que les gens comme ça, ça va. Les amis aussi. C’est bien même, ça fait un peu rempart quand l’appel du vide est trop violent. Mais les gens qui arrivent et qui te parlent à la terrasse d’un café ou à la caisse d’un magasin. Sentant le vide qui est en toi. Pensant pouvoir créer un lien. Qu’il suffit de sourire. Ces gens-là, Marielle les claquerait bien.

Marielle qui attend son plat. C’est évident qu’elle l’attend, le regard scotché sur les cuisines et suivant les plats qui en sortent avec envie. Les doigts qui se crispent dès que le serveur la dépasse. La salive qui envahit sa bouche. C’est pareil pour tout le monde au restaurant. C’est juste pire pour elle, plus important. Il s’agit de régler l’histoire de sa présence ici au plus vite. Il s’agit de savoir si le choix était judicieux. Et plus elle attend plus elle doute. C'est-à-dire que c’était peut être pas saignant qu’il fallait dire pour la cuisson. Qu’une salade au chèvre chaud se serait peut être mieux accordée à son humeur du moment. La terrible angoisse de l’attente. Et quand cette évidence est pointée du doigt, qui plus est par un inconnu, Marielle a des envies de sang.

Quand elle rentre chez elle, Marielle, elle appelle ses amis. Assis dans le noir, cigarettes et vin rouge au rendez-vous, ils battent les cartes de leurs jeux respectifs. Parlent de tierces personnes pour ne pas trop le dire, que leurs plaies communiquent. Si un inconnu arrivait et qu’il allumait la lumière, il verrait comment leurs yeux se sont réduits à deux fentes. Comment la langue a quitté les zones rassurantes de l’humain. Comment leurs doigts ont fondu, enracinés dans le plancher. Comment leurs crocs pointus déchirent le vrai et comment leurs bouches crachent des cadavres de fourmis. Si un inconnu arrivait, il ne comprendrait rien. Il hurlerait probablement, comme pris de court par l’horreur de la vie. Il pleurerait sûrement, regrettant d’avoir jamais franchi le seuil de l’appartement.

C’est ce que Marielle se dit, à chaque fois qu’elle sort. Que dans le pire des cas, ses côtes sont assez aiguisées pour perforer toute la bienséance à laquelle elle est confrontée.



Inspired by A.T.'s drawing

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