Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Le langage est une peau: je frotte mon langage contre l'autre.

Dans le discours a. comme dans tout discours, il y a trois entrées : la volonté, l’intellect et le toucher. Le sens nait de la tension opérée entre ces trois infléchisseurs du langage. Ce que mon toucher (mon affect, mon émotion, mon corps propre) dit au destinataire, je veux qu’il le perçoive d’une certaine façon qui est celle dont mon intellect le conçoit. Ainsi, le discours, avant même qu’il ne devienne dialogue est une tension, il n’est pas stable et, à cause du jeu de balanciers entre trois forces opposées (en lutte, en jeu de domination), est à proprement parler insaisissable. C’est pourquoi ma réponse ne sera pas la même en fonction de la question : qu’est-ce que tu veux dire ? n’est pas comment je dois lire ? ni qu’est-ce que ça signifie ? parce que non seulement le discours tremble, même fixé noir sur blanc, il vacille tout distordu qu’il est entre les trois injonctions originelles, mais il échappe à son locuteur dès lors qu’il existe. Sa naissance coïncide avec sa mort puisqu’il n’est que la projection d’une pensée valable à l’instant T, lui-même si bref qu’il est annulé par T+1 dès qu’il s’actualise. Ainsi, dans le discours a. comme dans tout discours, ce n’est pas le discours qui importe mais son effet.

Premièrement, celui qu’il produit sur son locuteur – logiquement libérateur, il peut aussi s’avérer dévastateur s’il est produit – et donc mort – avant que les instances originelles ne l’infléchissent. 

Deuxièmement, et c’est là une forme de raison d’être, comme au ping pong la frappe de l’adversaire est la raison d’être de ma raquette, lorsque le discours devient dialogue, la trinité des injonctions est à la fois annihilée par l’existence d’un miroir autre, par un rapport alternatif et intensifiée par le jeu, par l’échange. Mon discours résultat du jeu de domination de mes trois entrées produit un effet sur un locuteur qui à son tour produit du sens, non pas pur mais réaction à l’énergie proposée par le mien. 

Ainsi, comme lors d’une partie de ping pong, l’échange, tout en se résumant à l’équation balle – raquette – table – balle – raquette, est la création d’un mouvement, d’un rapport d’énergies qui se nourrissent ou s’annihilent. 

Si je lance la balle droite dans mon discours et qu’on me la renvoie avec un effet, je peux la rattraper. Cependant, si je persiste à lancer droit, dans une intension d’exhiber le jeu de mes rapports de forces, je vais finir par succomber à l’effet qui, parce qu’il est travaillé, rompt mon geste et avorte ou castre mon propos qui devient une roue libre, un grand brassement d’air, une énergie qui pousse sans rencontrer la résistance demandée et qui s’effondre, en toute logique. Ce qui arrive souvent, dans le cas du discours a., le plus creux et le plus fourbe de tous parce que le plus intense.

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