Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Parc à thème

Au cœur de la ville, près du Panthéon des morts, Mama longe des grilles ceinturant ce qui ressemble à un parc à l’entrée duquel un plan propose des parcours classés par thème et niveau. Un lieu, marqué en rouge, attire son attention : le tableau des complaintes. Elle se décide à tenter une entrée et un agent, en costume sombre armé d’un compteur manuel, lui demande l’objet de sa venue.

Mama hésite, « la curiosité ? »

« C’est la première fois qu’on me la fait celle-là, elle est bonne ! Manifester par curiosité, ça vous va bien, à vous les jeunes. J’imagine que c’est le genre de motif qui va devenir la norme.

Manifester ? 

Vous êtes encore pire que je ne l’imaginais, et pourquoi venir ici autrement, pour le tourisme ?

C’est que je viens du continent.

Ah, tout s’explique ! Laissez-moi vous faire un petit débrief de l’histoire du lieu alors. Vous avez sûrement entendu parler de la vague de grèves qui a paralysé le pays après l’établissement du nouveau régime.

Vaguement.

Parce que la structure globale de l’Etat chamboulait le moindre détail de la vie de mes concitoyens les rendant inaptes à mesurer la portée des changements, l’effroi les jeta dans la rue, alimentés par une rage qui semblait intarissable. Le gouvernement, conscient à la fois du bien fondé de ses actions et du naturel de la réaction populaire, ne voulût pas entraver l’expression du malaise national. Cependant, il fallait absolument réagir, entendre et se faire entendre. Un conseiller du roi, ministre du président eût l’idée brillante d’offrir au peuple le moyen de s’exprimer en toute liberté et en toute sécurité : ce lieu. Conçu sur le modèle des parcs à thème, il est sensé permettre aux gens de s’exprimer complètement, sans censure aucune. En outre, contrairement à l’embarras administratif causé par les manifestations d’autrefois, cet endroit est accessible nuit et jour, tous les jours de l’année. Au début, bien évidemment, le succès fût tel que les manifestants grouillaient dans tout le quartier, sans jamais fatiguer. Et puis, assez vite, l’ambiance bon enfant de la masse, la générosité du geste politique calma les esprits. D’une part, les gens s’ennuyaient et regrettaient leurs machines à café et leurs écrans et ne tardèrent pas à regagner leurs bureaux. Et, honnêtement, que voulez-vous reprocher à un gouvernement prêt à entendre vos caprices sans sourciller, allant jusqu’à prévenir vos besoins ? Depuis, le climat social de notre pays est au beau fixe et ce parc fait partie des raisons de notre fierté. A une autre époque, on m’aurait assimilé à une police répressive mais les gens sont trop heureux de m’expliquer les motifs de leur venue. Certains viennent simplement par hygiène et tous, le sourire aux lèvres.

Et le tableau des complaintes ?

Encore une idée géniale de notre ministre : permettre aux gens d’afficher leurs ressentiments. Il est nettoyé une fois par mois, après un recensement de ses données ensuite stockées dans le registre national des complaintes. »

Et Mama, de partir vers d’autres aventures.

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