Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Antonella

I can't believe life's so complex / When I just wanna' sit here and watch you undress

Moi je sais pas comment dire de toi à quel point t’es dur. A quel point le côté sec, lourd, puissant, intransigeant de ta nature qu’est si loin de moi, il m’attire. Je pense qu’une nana moite comme moi est pas faite pour durer. Pas poliment. Pas sans heurts. Moi je pense qu’une nana comme moi doit hurler dans le vent jusqu’à ce que sa voix trop douce se transforme : qu’elle s’éteigne ou qu’au contraire, elle devienne rocailleuse, révélant une force jusque là insoupçonnée. Je pense qu’une nana comme moi doit être façonnée. Qu’il serait éventuellement possible que je me façonne seule. Que je découpe les bords flasques de mon éducation. Que je travestisse la cuiller d’argent qu'était dans ma bouche à la naissance, que je me pète les dents avec histoire d’avoir enfin des crocs qui s’agrippent à la vie. Mais toi tu ne te tromperais pas si tu voyais comment la cuiller est un leurre puisqu’elle n’a pas empêché l’accumulation des merdes, les larves de mouches, les couleurs hasardeuses des plaies qu’on oublie de désinfecter. Et si tu savais ça, toi, tu comprendrais pourquoi c’est dur de se changer soi et toi tu saurais comment faire et toi tu voudrais le faire. 

Tu m’emmènerais dans ta tour. Tu me briserais une côte ou deux pour que je puisse me plier en deux. C’est plus transportable. Tu dirais. Tu me nourrirais peut être un peu. Tu me donnerais de l’eau. Tu ne me servirais pas de vin pour que je sois toujours lucide et consciente. Intensément présente. Tu dirais. La douleur des côtes brisées c’est pour que tu sentes au propre ce que c’est d’aimer. En plus le bleu et le marron qui se dessinent sur ta cage thoracique c’est putain de beau. Tu dirais.

C’est vrai je sais pas si on sort d’une histoire comme celle-là. Et je sais pas comment on en sortirait. Mais c’est comme les contes de fée : ça n’existe que dans l’intensité. Pas dans le mirage de la temporalité. Ça n’a pas de sens autrement. Ça ne peut pas se mélanger aux faiblesses du monde tel qu’il est.

Alors Antonella, comme ça, a arrêté successivement de voyager, de travailler puis de parler aux gens. Assise dans son salon, le dos droit, les poings crispés, elle respire avec précaution, envahie par la crainte qu’une quinte de toux ne vienne esquinter l’image que son cerveau tente de conserver d’un réel qui n’est même pas vrai.



Inspired by El T's stamp, L'enfer de bibliothèque

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