Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

13.427

Je sais pas moi je pensais à une histoire de soleil. Je me disais comme ça que les plantes elles avaient besoin d'une bonne terre, d'un peu d'eau et de soleil. Pas toutes c'est vrai mais pousser la comparaison jusque là ne sert à rien puisque tu sais toi et que je sais moi que tout ce qui m'intéresse c'est la texture de leur chair et la densité de leur sève. La résistance des tiges aussi mais ça fait très vulgaire dit comme ça. Alors que non. Tu sais que non. Je le saurais aussi moi si c'était ça. Mais non. La folie oui. L'impossible gestion de mon corps et de mon âme quand c'est tendu comme ça. Oui. Sortir droguée dans la ville, être incapable de faire face à la dureté de la pierre et à la saleté de l'air. Les mots sont comme cassés dans ma bouche et mon cerveau n'entend rien de ce qui lui est dit. C'est atroce et moi j'adore parce que je me souviens de ce moment où ma langue et mes joues et mes lèvres. Et pas parce que je l'ai voulu, prémédité, calculé. Non. Parce que c'est arrivé comme ça devrait toujours arriver: irrémédiablement. Et pas parce que le bien et le mal se faisaient un bras de fer ou une jouxte verbale autour de valeurs. Non parce qu'à ce moment-là la réflexion et le jeu se faisaient défoncer la gueule par la vie. Parce qu'à ce moment-là j'ai compris très vite et sans m'y arrêter vraiment que les fleurs étaient ce qu'il y a de plus érotique au monde. Bien avant tous les artifices et les néons sur lesquels les gens se jettent comme des mouches effrayées. Dans les mains de la mamie ou de l'enfant qui les ramassent. Pas vilaines ou mauvaises ou salaces. Belles et fortes et naturelles. Justes. Dans un mouvement permanent imperceptible. Mues de l'intérieur, tendues vers la beauté de l'extérieur. Contaminant l'extérieur de leur présence. Irrépressibles. J'ai vu à ce moment que la comparaison première était fausse. Que tu t'étais encore transformé. Que tu n'étais plus simplement cette tige sèche et ce rouge palpitant. Plus pour moi en tout cas. Tu t'étais dédoublé. Tu étais devenu cette fleur blanche des sommets. Tu étais rare et tu étais beau. Tu t'ouvrais et c'était beau. La danse de ma main sur ta peau c'était beau. J'avais le droit d'oublier les saletés du passé parce que les plantes se foutent des saletés du passé. J'avais le droit de souffler sur ta joue et de mettre un à un les pétales dans ma bouche. De tester leur résistance à mes dents. D'être enveloppée par leur douceur. J'avais le droit d'avoir tes feuilles-doigts sur mon crâne, perdus dans mes cheveux. J'avais le droit et j'avais envie. J'avais envie de mon droit.

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