Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Jenna

A un moment j’étais là, à un orteil de ton lit. Je le sentais. Je le voulais. J’étais persuadée que. C’est ce que Jenna m’a dit. Elle m’a dit j’ai pas compris. Elle dit toujours beaucoup de choses, Jenna. Elle étale ses divagations, elle les tartine, elle dit oui merci non pas du tout mais encore et puis aussi. Elle a toujours un putain de truc à rajouter à une conversation dont on se fout carrément. Elle est absolument intolérable Jenna. Parce qu’on pourrait vouloir la faire taire et la consommer comme ça Jenna mais ça n’irait pas. Ça n’irait pas parce qu’au milieu de toute sa merde Jenna a parfois de l’esprit et que c’est cet esprit allié à sa chair qui la rend désirable. Sa chair seule est potable et son esprit sans sa dysenterie verbale a quelque chose de délicieux. Assez grinçant pour n’être pas seulement raffiné. Mais c’est le reste, quand elle est hameçonnée et qu’elle commence son interminable logorrhée. Quand elle ne sait plus se taire parce qu’elle a ouvert cette étrange trappe qui la fait passer du silence au brouhaha. Elle manque de nuance Jenna.

Je crois bien qu’autrement je me la tirerais bien. Je crois qu’on serait nombreux à se la tirer Jenna si elle était pas comme ça, à tant parler. Il doit y avoir quelque chose qui grouille constamment dans ses entrailles et dans sa tête à Jenna. Outre son besoin perpétuel de justifications et d’explications par le menu qu’elle tient de sa mère parce qu’elle le dit elle-même qu’elle sait comment elle est, Jenna. Elle dit que c’est un truc de femme qui s’est exacerbé chez elle. Un truc d’enfant aussi qui une fois qu’on lui a dit il est beau ton dessin, prend l’adulte par la main et lui fait faire de tour de l’intégralité de ses productions picturales ainsi que de ses jouets, ses nounours et ses culottes. Le gamin qui veut qu’on l’aime alors qu’il lui suffit d’être là à dessiner pour que le charme opère. Le gamin qui comprend pas que quand il te prend par la main te privant de ta liberté de l’aimer ou non et qu’il t’entraine dans un inventaire fatiguant, ça fait que tu finis par le trouver irritant, tout chérubin mignon qu’il est intrinsèquement. Jenna elle est comme ça. Il faudrait pouvoir l’éteindre parfois.

Et tu peux pas lui dire ça, sinon elle se casse Jenna. Elle te regarde, les yeux déjà inondés, elle tremble, elle regarde le sol. Elle rougit. Elle vacille et puis elle tombe comme une larve en gémissant qu’elle a rien demandé jamais à la vie qu’elle en veut pas qu’elle veut crever là comme ça ou au moins se cacher pour l'éternité. Elle dit qu'elle a honte et qu'elle peut plus, qu'elle en peut plus. Elle est difficilement fréquentable Jenna, caricature du féminin, émotivité exacerbée. Animal sensible et désespéré.


Aucun commentaire: