Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Agathe

Agathe assise sur la cuvette des WC. A côté de la machine à café. Le bruit des conversations des employés. Les circulations qui se font et les blagues redondantes. Agathe revient à elle. Agathe pensait. A cette nuit où elle n’avait pas joui. Pas par manque d’envie. Encore moins par manque de technique. Agathe n’avait pas joui parce que si elle avait joui elle en aurait probablement crevé là comme ça, les jambes recroquevillées, le thorax écartelé. Sous son poids à lui.

Elle remarque que ça lui arrive souvent de se perdre dans ses pensées, assise sur la cuvette des WC. Particulièrement quand sur son pc s’accumulent les courriels de gens pressés et les tâches à accomplir pour pouvoir justifier salaire et statut. Salaire à dépenser et statut à afficher dans les cafés le soir avec ses amis. Montrer ses chaussures qui sont belles et neuves. Qu’elle a eu en réduction et qui vont bien avec son style à mi-chemin entre élégance et originalité. A la frontière du mauvais goût. Elle en est très fière de ce style qu’elle travaille. Elle peut aller jusqu’à se changer quatre fois avant de trouver la tenue qui sonnera juste avec son humeur du jour et son emploi du temps. C’est qu’on la reconnait à son style. Que depuis le collège elle considère ce style comme sa planche de salut. N’étant ni belle ni laide, il lui fallait faire quelque chose de particulier pour se faire remarquer. Fumer n’aurait pas suffit. Sourire accentuait un petit côté niais qu’elle assumait au demeurant puisqu’il lui permettait de toujours se faire servir en amour (on entend par là qu’elle se fait généralement prendre avec autorité et condescendance, contre un mur ou sur un lit). Le style ça la sauçait parce qu’elle en jouait et que ça impliquait tout un tas de ficelles que personne ne pouvait soupçonner. Le prix, les couleurs et les matières. Hormis elle, tout le monde s’en foutait mais elle le savait et considérait que c’était tout ce qui comptait.

Elle n’avait pas joui donc, parce qu’elle n’avait pas pu. Pas pu se donner à lui qui la voulait. Elle ne comprenait pas qu’on puisse la vouloir autant. Elle n’était qu’un con après tout. Un con stylé certes mais un con surtout. Une petite chose minable et jolie qui souriait sans broncher. Qui se laissait tringler sans broncher. Qui pouvait aller jusqu’à se laisser crever sans broncher. Alors forcément, le voir lui comme ça sincèrement intéressé, ça l’avait pas mal perturbée. Elle avait fini par chialer du dedans. Les heures étaient passées. Le jour revenu. Le temps disparu. Jusqu’à ce jour là sur les chiottes. Heureusement dehors, son smartphone et son pc l’attendaient, emplis de tâches à accomplir.


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