Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Andrée

Andrée savait que les gens tombaient plus facilement dans la Seine la nuit. Que les couches d’humour et d’alcool superposées brisaient quelque chose de l’enveloppe humaine et laissaient paraître les ailes malformées des êtres les plus instables. Il avait dit des créateurs. Il était beaucoup trop jeune pour savoir. Pourtant dans son regard quand il se manifestait parfois, Andrée lisait une vérité bien plus profonde que la sienne. Perplexe. Glacée. Elle savait qu’ils avaient sombré dans cet au-delà de la nuit où plus rien n’est drôle. Si ce n’est peut être la vibration de ses cordes vocales quand elle hurlerait plus tard. Bien campée dans son rôle de femme hystérique.

Andrée ne savait plus son âge et ne savait rien des lieux où elle se trouvait. Fabriquait des barrières légèrement poreuses pour se protéger. Barrières faciles à démonter en cas de besoin mais barrières formidables tout de même. Déjà ses cheveux qu’elle refusait de laisser pousser. Histoire de passer peut être pour ce qu’elle n’était pas. Histoire sûrement de n’être pas prise pour une nymphomane. On lui avait tout dit : timide, frigide, lesbienne. Cul un peu flasque aussi, mais ça c’était autre chose et c’était peut être lié à une question de taux d’alcoolémie et de provocation. Quand on savait ensuite ce qu’elle consommait en quantité, sur lèvres de tous les hommes se dessinait un rictus de dédain tandis que leurs langues frappaient l’arrière de leurs dents pour bien ponctuer la fin du mot. Pute.

Le métro tu vois dans toutes les villes c’est triste, c’est moche, c’est sale. C’est déplacer des masses de gens d’un bout à l’autre des nervures urbaines. Les balancer un peu partout pour fabriquer une mélopée de l’espace. Leur faire croire à une géométrie rationnelle de la ville qui n’existe pas. C’est pour les pauvres. C’est insupportable. C’est soit un truc que tu finis par oublier avec le temps, soit un truc que tu prends en touriste en te disant putain de merde comment ils font les gens. Pour vivre comme ça. Le métro à Paris c’est pire que tout je crois. Il y a l’odeur et la couleur de la ville. Il y a cette faune le matin. Toi encore à moitié ivre de la veille et eux à peine levés. Vous tous les yeux embués de sommeil. La tête ballottée au rythme des arrêts qui n’en finissent pas de ponctuer la ligne. Et puis toi t’es là, Andrée de la veille, Andrée du matin et tu te demandes comment pourquoi les mecs n’y pipent rien à tes envies. Pourquoi ils défoncent ton cœur et s’enfuient dans le lointain, te laissant tellement vulnérable que la seule option qui reste est celle de l’offrande imbécile. Être dévorée par les pairs de ceux qui partent comme seule réponse au silence de l’absence.


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