Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Dachau ******

Ils disaient non mais c’est rien ça. Il y a autre chose au monde, d’autres catastrophes nucléaires. D’autres atrocités. Pourquoi préférer certains martyrs à d’autres. Ils disaient ça sans sourciller, le regard droit. Et il était impossible de leur dire vous avez tort. Pourtant, à être ici comme ça, on se dit que cet incommensurable structure de l’abject a bel et bien fonctionné sur un modèle pragmatique. Que tous les rouages étaient bien huilés, les rendements calculés. Et que la visite c’est pareil, bien programmé. Que finalement c’est pour ça que c’est terrible de venir faire ce pèlerinage. A cause de la rationalité des flux.

On entre par groupes, sortis de bus. Les rails à côté sont là pour être observés pour dire voyez, ils sont venus comme ça, ils sont entrés par là. Et nous on suit, les yeux fixés sur les bâtiments. On ponctue le devoir de mémoire en lisant des prospectus qui nous donnent des chiffres qui ne nous disent rien. On voit, on touche, on respire un air presque identique (hormis l’odeur de chair brûlée). On vit la même expérience. Sauf qu’on a une barre chocolatée quelque part dans nos sacs. Même si on l’a laissée dans le bus. Même s’il s’agit plutôt d’une pomme. On comprend pas et on peut pas comprendre. On peut juste rester là les bras ballants à se dire. Ouais, ça se passait comme ça. Comme il le dit. Comme c’est écrit.

Et devant les piles de chaussures usagées on pourrait presque critiquer la société de consommation. Mais pour les mauvaises raisons. Et devant les couchettes en bois qu’on voit dans les baraquements qu’ont été refaits on pourrait presque penser à un chalet. Mais pour des raisons qui sont mauvaises. Parce qu’on est luxe et blonds. Peau claire. Je vous salue Marie. Et qu’on a honte de Marie. Des anges et des saints. Parce qu’on comprend pas et qu’on peut pas comprendre. Parce qu’on veut pas de ça comme héritage. Parce qu’on ne veut pas plus de ça comme perspective. Parce que ça ne devrait pas être et que pourtant ça est. C’est bête à dire putain.

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