Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

A tale one day

Il avait été sur ces bateaux-cargos qui s’enfoncent dans le néant de la haute-mer. Il avait pris sa boîte à outils et quelques bouteilles de Whisky. Il se trouvait très rock’n’roll comme ça, la veste en cuir et la barbe de trois jours. Un jeune gars tout juste trentenaire à bord d’un navire habité par des négros. Négros et russes (un truc comme ça, une langue qu’il connait pas). Enfin ces mecs, là, à son service. Des durs à cuir mais des durs à cuir qui savent qui est son ami à lui. Des durs à cuir qui savent qu’il a aussi une vie, lui, avec un métier, une femme et des enfants à venir. 

 Le mal de mer, il n’a pas pu l’éviter les premiers temps, mais il buvait tellement finalement que personne ne savait trop d’où ça venait, ces vomissements. Peut-être aussi étaient-ils dus aux mots de sa connasse de femme, la britannique bien mise. Putain, dire qu’il avait vu en elle une copie idéale de Birkin en blonde. C’est-à-dire que si on lui ajoutait quelques centimètres, qu’on lui limait les dents et qu’elle arrêtait de râler, peut être que son style à lui pouvait faire l’affaire, qu’ils pouvaient quand même avoir la classe, être un de ces couples qui va bien. Mais elle gueulait tout le temps. Et là, elle avait pire que gueulé, elle était devenue dure comme la pierre, presque transparente de rage et elle s’était tue, le toisant d’un regard froid et noir. 

Dans ce regard qu’il revoyait maintenant, dans la nuit interminable de la haute mer, il n’y avait plus l’amour et l’admiration des débuts. Il n’y avait plus l’adoration. Il n’y avait que le mépris. Ce qu’il faisait pourtant là, accompagner F dans ses tribulations contrebandières, il le faisait déjà avant. Et avant elle en avait les yeux qui brillaient. D’ailleurs, souvent ses cuisses s’ouvraient à cause des récits qu’il lui faisait de moments comme ça, dangereux et amoraux. 

Les bruits assourdissants du navire, un cri interminable, un craquement infini, ces bruits, Dieu merci, l’empêchaient de penser trop longtemps. Pour les faire taire, il avait pris assez de Whisky. Il savait aussi qu’à l’arrivée, une fois les armes déchargées, les nègres pourraient lui en filer du Whisky, tout contents qu’ils seraient de voir leurs jouets arrivés, de penser au nombre de rebelles et de citoyens qu’ils allaient pouvoir zigouiller avec ça. 

 Et puis parfois, quand il avait fini de penser aux reproches de la connasse et à l’odeur des négros, il se mettait à penser plus loin, à toutes les histoires qu’il pourrait un jour raconter à son enfant.

Aucun commentaire: