Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

A la fin (1)

Ce dont on est certain se résume en une scène : une main éteint la lumière et ferme la porte. Il est fort probable que cette main soit de femme, qu’elle soit bien manucurée, petite et fragile. Avant, la main était probablement posée sur la hanche de la femme tandis qu’elle parcourait la pièce aux volets fermés d’un pas lent comme la mort. Si c’est bien d’une femme qu’il s’agit, elle porte une blouse en soie, une jupe crayon et des escarpins à talons. C’est que cette femme est mon fantasme. Non que j’aie jamais voulu la posséder, j’aurai plutôt voulu l’incarner, habiter sa peau. J’aurai préféré être un corps-aimant, avoir des regards collés à ma chair où que j’aille. J’aurai tout donné pour avoir une pensée aussi charmante qu’une abeille butinant plutôt que celle agressive du cheval dont les sabots foulent violemment la terre. 

La pièce est vide maintenant. Reste un peu de poussière là où on l’a laissée s’accumuler comme pour indiquer la trace d’une vie, le passage d’une pensée, la présence d’un mobilier assez encombrant. Ce mobilier pour camoufler la poussière, un mobilier qu’on ne prend pas la peine de déplacer. Un mobilier dense comme une bibliothèque par exemple. Le sol est gris et les murs jaunes. Sur les murs jaunes, les traces blanches pourraient effectivement être celles de bibliothèques et de livres fossilisés. Mais ça pourrait tout aussi bien être les traces d’une armoire remplie de babioles inutiles et lourdes comme le passé. 


La jeune femme peine à partir, marchant lentement. Elle a un dossier serré contre son cœur. Un de ces vieux dossiers, relié par une lanière ; un dossier dont une masse déstructurée de feuillets tente de s’échapper. Ils sont froissés ces feuillets, jaunis. Certains sont peut-être plus frais à moins qu’une qualité supérieure de papier ne les ait préservés du jaunissement. Comme si la qualité était une barrière contre le vieillissement. Les yeux du personnage, qui n’est peut-être pas une femme finalement, se perdent dans le vague, à la recherche du souvenir.

Dans la pénombre de cette pièce qui s'efface, le miroitement des yeux du personnage devient insupportable. Lorsqu'il respire, la buée de son souffle se transforme en verre et dégouline sur sa joue, dévorant les restes de son visage.

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