Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

The spirit of man

Au jour numéro un, elle prend l’ascenseur jusqu’à leur appartement, tire la chevillette et patiente, de ses quatre-vingt huit lourdes années. Au jour numéro un, un bruit dans l’appartement et la sensation de déranger. L’autre, de ses toutes aussi lourdes journées de mâle en peine ouvre et dit « bah oui comme tu vois, encore là. »

Au jour numéro deux, elle prend l’ascenseur en se demandant pourquoi la femme de l’autre s’est cassée. Elle se rappelle que quand elle a voulu se délester du sien de mâle, elle l’a fait interner. Chevillette. Patience. Patience. Clic. Clac. Visage aveugle. Comme tu vois, encore là. 

Au jour numéro trois, la bonne qui passe demander les clefs que personne n’a.  L’ascenseur à deux. La porte de l’appartement. Chevillette. Patience. Patience. Patience et bonne balancée d’un pied sur l’autre, regard fuyant et articulations des mains blanchies. Aveugle. Là pas là et pas sympa.

Au jour numéro quatre, perplexe. Ascenseur peur. Idée : c’est par le sommet que le monde s’effondre. Chevillette. Patience. Tout diviser en deux. Fatigue-patience. Penser à demain, aux rejetons des mâles, aux tortionnaires de son corps à elle, à ceux de la femme de l’autre. Tout diviser en eux. Ne toujours pas saisir l’étrange rapport de forces. Patience étrange. Toujours pas de bruit. Penser sommeil du juste et que demain est pas loin.

Apprendre au jour numéro cinq le carrelage dur et froid. Lorsque la première paupière se décolle, elle voit l’ignoble tableau, le scénario : le vieux, la mort. Lorsque la deuxième s’y met, elle entend enfin raison : abandon. Reste à savoir de quelle nature est l’être qui laisse un homme sénile et aveugle faire face à son destin pour aller au pays des diamantaires sans avis manger du fromage dans les alpages.

Aucun commentaire: