Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Oh how I love you Gary

Il s’appelle en fait Roman, prénom qu’il a rapidement transformé en Romain, trouvant la résonnance historique bien plus stable et valorisante que celle de pauvre fiction, d’autant qu’il n’avait jamais su s’il le devait plus à l’Est de ses origines ou à la passion de sa mère pour les histoires d’amour. 

Elle l’avait aimé dès le premier jour. Il savait très bien pourquoi. C’était son travail de comprendre ces choses-là, leur source tangible. Peut être même qu’il ressentait de l’amour pour elle, mais ce qu’il savait aussi c’est qu’il lui était insupportable de la voir prête à manger dans sa main, sereine et bornée. Il trouvait qu’elle salissait son cœur et son honneur d’homme à être disponible. Il aurait voulu lutter, il aimait dominer la situation. 

Il se disait qu’elle ne lui avait pas laissé le choix. Il lui parlait de courbes, ne voulait pas perdre son emprise. Il affichait fièrement son mépris pour elle, comme une décoration militaire. 

C’est probablement la résonnance de ces contradictions dans le maillage amical commun qui l’avait arrachée à lui. Il avait pourtant tout fait pour que ça n’arrive jamais, lui expliquant par le menu les différences cruciales entre sa personne et son personnage. C’étaient en outre des choses qu’elle pouvait comprendre, dans sa folie du mot juste. Elle avait eu l’air de saisir. Pendant des années il avait été persuadé qu’elle avait intégré tout ça. Et puis finalement non.

Enfin si, parce qu’il savait aussi très bien que la situation était telle qu’elle l’usait, elle. Il savait aussi que l’équilibre précaire de leur rapport de force ne tenait qu’à son aveuglement à elle. Il voulait surtout se concentrer sur ce qui importait, ce qui n’était pas elle. Il avait su dès le premier regard qu’en étant inflexible, il aurait pu la mener elle à sa mort certaine. 

A la fin, elle lui avait tendu la main, elle l’avait giflé, elle l’avait supplié, elle l’avait insulté. Elle l’avait même surpris : d’aveugle elle était devenue voyante. Elle l’avait puni de ces vérités qu’il pensait pourtant avoir bien camouflées, à tel point qu’il les aurait lui-même oubliées si elle ne les avait pas ressuscitées. Il avait fini par appuyer sur les touches aiguisées par des années d’entraînement. Elle avait sursauté, glissé et s’était affalée comme une poupée gonflable percée. Dans son regard, il avait vu qu’elle était soulagée, qu’elle pourrait enfin voler.

C’était sans compter sur le fait qu’elle dormirait quelques mois plus tard dans un lit encore emprunt de sa matière à lui et qu’elle se regonflerait, honteuse amoureuse.

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