Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Les Bénédictins

Ce café dans cette gare, son éclairage dégueulasse, son gerbis de peinture, sa musique molle.

Et ça grouille à l'heure des vacances programmées, ça se bousculerait avec plaisir. En tout cas c'est ce qu'ils se disent, dans leurs têtes. Le plaisir de cette sensation, de ce chez soi transitoire. Le plaisir de l'imponctualité absolue des trains. Le plaisir piquant de voir leurs regards railleurs. C'est d'ailleurs une drôle de population qui habite ce lieu. Je ne la vois pas telle qu'elle est: je la vois telle que je la veux. En route, en mutation, particulièrement patiente; tout à fait enrageante.

Et dès que je mets un pied en gare des Bénédictins, mon cœur s'emballe et je le vois dans le visage de tous les passants, je le devine derrière toutes les pancartes, m'observant en cachette. Il est idéal, bien sûr, mais il brouille la qualité des images et fait grésiller le son alentour parce que dès que j'ai gravi la dernière marche menant du quai au hall de la gare, je suis sur scène, aucun faux pas ne m'est accordé, je joue enfin.

Je joue ma place dans vos vies pour que nos avenirs mutuels soient enfin scellés. Je suis matière mouvante sous l'objectif de vos microscopes, je suis objet réfléchissant la lumière de vos armes. Mes yeux se lèvent et je vois l'azur, je vois l'au-delà de ce lieu pourtant si réel.

Un peu plus loin, vers l'entrée, un groupe de jeunes filles vêtues de noir chante du Vian. L'une d'entre elle, une rose à la main, est d'un pathétique cinglant.

C'est qu'il n'y a que peu de chances que je devienne adulte.

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