Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Garonne

Vous étiez blond hier. Aujourd’hui, je préfère le brun. C’est à cause de leur peau ambrée, elle semble plus résistante, plus sûre. C’est à cause de la virilité qui gronde en vous. C’est surtout à cause de vos yeux, parce qu’ils sont noirs comme du charbon mais brillants. Ils sont vifs, acérés. Ils sont froids, ils se foutent bien de moi. A vous inventer comme ça, partenaire idéal, on finit par comprendre que vous n’existez pas.

Que vous soyez fait de mots, de descriptions et de sentiments tricotés au gré de nos propres émotions importe peu. En réalité, ce qui me pousse à vous voir tel que vous êtes, c'est-à-dire tel que vous n’êtes pas, réside plus en moi qu’en vous. Je vous ai pensé fiable, rassurant. Je vous ai doté de fonds que je n’ai pas et d’une profondeur hors norme. Le lendemain vous étiez pauvre, pitoyable et mauvais : je voulais souffrir. Le lendemain vous ne m’aimiez pas et je ne vous en aimais que plus. Le surlendemain, vous étiez diplomate, écrivain, âgé, halé, doré, adoré. Aujourd’hui, je ne vous aime plus.

Tout ce que je sais de vous, c’est que vous avez du goût. Et je le sais parce qu’il me l’a dit. Vous comprenez ? C’est vous et ce n’est pas vous, je ne vous dois rien je ne vous veux plus. Je vais vous oublier. Si je vous écris demain, c’est probablement parce que je vous voudrais roux.

Vous m’avez enlevée à dos d’éléphant, vous m’avez emmenée en Perse, vous avez aimé mon corps qui n’existe pas, vous avez chéri des dons que je n’ai pas. Vous ne me résistez pas.

Je vous ai attendu, je vous ai vu, je vous ai fait. Je vous ai cru parfois dans le talent d’un cinéaste, dans la franchise d’un camarade, dans la perfidie d’un amant déserteur ; mais vous n’étiez nulle part. Ils ont toujours chuté, détruit le mythe en produisant le détail inconsistant, celui qui vous ramenait à l’état d’élucubration. Vous êtes mort par leur fait, je n’ai fait que vous procurer du temps.

Le fleuve s’étire, jouant avec les rayons de ce jour. Je vous ai reconnu : vous aviez enfin coulé.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

idéaliser serait le maître mot.
Mais faut-il s'empécher de vivre pour autant?
Je dis non.
Thomas