Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Toxique 3

Blonde regarde ses mains et ses genoux salis par la poussière qui encrasse la pièce, camouflant ses couleurs originelles : de blanc cassé, le sol est devenu gris anthracite. Elle tente de se frotter pour se débarrasser des tâches mais ne fait qu’étendre leur emprise sur elle. Tout au long de son monologue, elle frottera, par intermittences. A la fin, elle sera toute charbonneuse.

Saletés. Silence. C’est comme des cendres. C’est que trop de mots ont été dits. A chaque fois, une avalanche, un excès. Elle regarde en direction du public. Mais qu’est-ce que je pouvais lui dire ? Il ne savait même pas ce qu’il voulait entendre. Il aurait voulu que cela ne soit pas. Il aurait voulu ne pas m’arrêter. Il aurait voulu que je n’écrive pas. En fait, il aurait voulu que je n’existe pas. Comme si j’avais un rôle quelconque dans cette histoire. Au début, je m’étais promis de me taire. Je savais. Mais il était si désespéré que j’ai cédé. J’ai tenté de répondre à ses questions. Pour lui prouver ma bonne volonté. Pour lui montrer qu’il n’y avait pas de mur entre nous. Que je ne le prenais ni de haut, ni de bas, ni de côté, que je le prenais comme ça, tout naturellement. Silence. Quelle conne. Franchement. A partir de là, impossible de faire machine arrière. C’était évident qu’ils allaient l’amener. Elle. De toute façon, une fois que leur regard est orienté, il n’y a plus rien à faire : chaque mot creuse un peu plus l’abyme qui nous sépare. Dans les coulisses, on entend des pas. Maintenant, c’est fini. Ils ont leur histoire, ils ont tissé leur toile. Emballez, c’est pesé, et pas un mot de plus ou ça pourrait déraper, ou ils perdraient le fil, ou on finirait tous fous. Quoique pour moi Sourire, je crois que c’est fait depuis un bout de temps. Gerber des pierres toute la journée, c’est crevant. J’avais beau les polir, les tailler, les sélectionner, j’avais beau me taillader la gorge et mourir de soif : c’était jamais assez clair. « Non mais on comprend pas ce que tu veux dire. », « C’est marrant, j’ai encore rien compris. »Elle imite ses détracteurs d’un ton sarcastique. Ça les faisait rire, ils prenaient ça pour un caprice, et ma bouche durcie, pleine de sable et de cendres, rien à foutre. « Mais personne t’oblige. » En réalité, c’est qu’ils ne savaient pas quoi en faire. Ils savaient très bien d’où ça venait. Cette note moite et collante qu’on appelle le visqueux et qu’on prononce du bout des lèvres. Ce râle maladroit qu’on refuse d’entendre à mesure que nos regards s’éteignent. Silence. Et personne pour noter que je répète inlassablement la même chose : laissez-moi me taire ! Non, personne pour noter ça. Si seulement. Pas un mot, pas une ligne, pas un bruit. Tout irait pour le mieux. Mais non, il faut dire. Formules. Comportements. Attitudes. Toute une tyrannie de l’être.

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