Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Sorges 2 *

Assise à son poste d’observation, tout au bout de la rangée des bureaux alignés, l’enfant ne voit que les fenêtres qui ouvrent les murs de la salle de classe sur deux côtés. Une embarcation volante, un lieu suspendu, calfeutré entre deux moments : le matin et le soir, la fureur de vivre. C’est très rigolo, d’ailleurs, ces circonstances atténuantes qui font que la province (c’est le mot qu’ils ont tous au bord des lèvres, la moue dégouttée) soit la même qu’ailleurs mais pas tout à fait. Avant, la salle de classe, c’était les robes smocks, les copines, les sacs Barbie, jouer à l’élastique et dire le Notre Père. Et là, il faudrait admettre que ce lieu tout en lino blanc et en fer jaune et bleu, où les gens sont bariolés et mélodieux, où la croix est remplacée par des cartes et un coin lecture ; ce lieu vulgaire au sens où il brûle dedans quand on y est, où les couleurs semblent n’avoir pour seul et unique but que de détraquer les captifs ; admettre que ce lieu est aussi une salle de classe. Tout ce qu’elle admet, c’est que c’est du faux, que si elle arrive à rester elle, à ne jamais prononcer les « o » comme eux, ça passera sans mal.

Au loin, le gazon et les cages de but, le sport. Dans la cour, de quoi jouer à la marelle et des feuilles mortes. Jaunes. Décomposées. Une odeur de moisi. Une odeur humide. L’automne.

Le temps qui passe et la solitude. La chaude assurance de l’enfance et la dureté des cœurs heureux. Les jours sont des films fades au scénario trop léger pour être crédible. Les jours sont prétextes à l’évasion. Les jours réveillent les souvenirs. Et les sourires francs des condisciples comme autant de leurres, adressés à d’autres, dans une logique inaccessible. L’enfant cherche une formule qui lui permettrait d’accéder à ce monde. L’enfant cherche une raison et ne trouve que des fuites. Elle sait déjà que grandir n’y changera rien. Elle sait déjà.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un très beau texte,comme suspendu...on ne saurait le contextualiser. On imagine le vide autour de cet espace,comme une métaphore de la solitude. Continuez!