Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Marlène

La chambre nue et la lignée de femmes qui avant et après se déchirent l'héritage et la tradition bafouée. On est en Tchécoslovaquie mais on serait tout aussi bien en Roumanie. Les années 2000 sont comme les années 90 qui elles-mêmes diffèrent très peu des années 80. Il fait froid, il neige et on pleure. On pleure de solitude au coeur d'une terrasse sur-chauffée et sur-peuplée de Paris. On raconte le drame des pieds qui avancent en douleur le long des derniers mètres. Le corbillard porté par les voix cristallines et les liens du sang ne disent plus rien. Silence fécond. La main saisit la terre. Plus tard dans le train, dans le lit, dans les plis, on fera le geste de chasser la poussière pour la forme mais on laissera une trace au creux de la nuque pour ne pas oublier ce qui ne s'est pas passé.

Pendant la période communiste elle était infirmière. Déjà sœur et promise. Elle lavait le cul, mettait les pieds dans des bassines rappelant ainsi des gestes déjà vus. Ils étaient nombreux, elles n'étaient que deux. Le but de la manœuvre, du régime et des hommes, était de les éroder. De limer la force et l'amour. De nier la foi mais d'utiliser l'efficacité. Plus tard elle sera mère supérieure comme dans les films, en plus tangible. Il y a peut-être des livres, des textes, des pensées. Peut-être quelques idées. Ça a été. Tous les matins se lever. Prier. Manger et se laver de manger. Parler et se laver de parler. Désirer et détester se laver du désir. Désirer encore. Être pardonnée. Fusionner. De stature noble comme l'ensemble de la lignée. Ces femmes que l'on remarque toujours et partout, faites pour être vues. Impossibles à consommer.

Dans la chambre vide on ne dira pas c'est la paix qui règne. On ne dira pas non plus l'ennui. On se dira submergé et ce ne seront ni la blancheur des murs ni la sobriété de l'équipement. On pensera à la discipline et on se rira un peu de ces hommes pauvres hommes, militarisés. On n'aura pas le vertige et on n'aura pas peur. On ne peut pas non plus parler de respect, le mot est creux. On se sentira connecté, relié. On aura les yeux ouverts et on saisira l'espace d'un instant l'immensité d'une vie. 



Aucun commentaire: