Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Blanc

Je cherchais la limite, l'endroit où la mer et le sable se joignaient. J'avais trois puis sept puis quinze ans et je faisais ce geste, toujours identique. Je caressais le sable et je caressais l'eau. Je posais ma paume sur le sol. Elle s'enfonçait dans l'eau. C'était étonnamment chaud sans jamais me brûler. C'était d'une douceur ravissante. Gluant sans coller. Je crois que j'aimais. A trois comme à sept comme à quinze ans. Quand je cherchais vraiment, les jours où ça m'inquiétait, je plongeais mes doigts dans le sable et je creusais. Souvent les bêtes sortaient et ça m'effrayait. Pourtant, à trois comme à sept comme à quinze ans je revenais. Je revenais pour la couleur et pour l'odeur. Pour le toucher, celui que je n'oublie jamais. Ce toucher est celui de la peau de l'amant.Quand parfois je plongeais mes doigts et qu'un courant plus frais me happait, il me semblait savoir ce que vivre veut dire. Quand ce courant me happait et qu'aucune bête ne sortait je pouvais oublier l'eau et le sable, oublier les baigneurs. Juste écouter les vagues qui naissent au lointain. Regarder ce lointain et oublier.

Quand ma peau gelait à cause du vent, je regardais les cieux. Le sel et le vent et le sable piquent. Ils brûlent. La peau rougit. Les larmes coulent. Le nez pèle. Les dents claquent. Le temps s'agite et le corps veut fuir, retrouver la chaleur originelle. Mais les cieux stagnent et le nuage géant attend. Il attend sans considérer le besoin qu'a mon corps de ce soleil qu'il s'évertue à cacher. Il attend parce qu'il est temps, à trois comme à sept comme à quinze ans, que j'apprenne à attendre. Et moi, une fois que j'attends, je regarde et j'apprends la couleur, la texture et l'ampleur d'un monde où le ciel et la terre sont deux faces d'un même règne.

Ensuite, quand le soleil revient, tout sourire et peau dorée, moi j'oublie tandis que mon corps sait. Et quand plus tard sur une plage de galets qui ne ressemble en rien au sable douillet des premiers pas - quand je goûte au sel des larmes qui veulent nier l'oubli, mon corps se tait et attend. Il attend parce qu'il voit l'horizon.

James Ensor - Le Nuage Blanc



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