Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Anita

Elle lit sur son lit. Rose la couverture et bleus, les murs. Cinquante ans, toutes ses dents. La peau de l'âge mais le coeur naïf et brisé d'une enfant de cinq ans. Elle se lève, Anita au ventre gonflé. Elle s'habille et se parfume. Debout devant son miroir crasseux elle se coiffe et se maquille. Peinturlurée, les cils bien courbés, le rouge vif. Orange même, comme les néons de la nuit de Lima.

Apprêtée elle peut enfin faire ce qu'elle à faire: écrire. Table branlante et toile cirée tachée (mais les tâches se cachent dans les couleurs criardes du plastique abîmé). La tête penchée, menton reposant sur son poing gauche: rêveuse comme l'est toute amoureuse. Transie. Ridicule.

C'est son premier client, l'important. Il faut le traiter avec soin. Il est beau, propre, respectueux et sage. Il la rassure. Non qu'il lui parle ou la conforte vraiment mais elle le décide c'est comme ça: le premier client, rassurant. Fort comme un géant en plus. Et puis plein aux as, sûrement. Militaire. Marié aussi. Mais marié malgré lui, parce qu'il faut. Parce que c'est comme ça. Ses avant bras collent à la table. La sueur et le plastique se mêlent comme elle mêlera son corps à celui du client-amant. Comme elle mêlera sa vie à ce fantasme bourgeois décrépit. Comme elle mêlera son âme à l'eau de rose croupie.

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