Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Nightingale

Wilt thou be gone? It is not yet near day. / It was the nightingale, and not the lark, / That pierced the fearful hollow of thine ear. / Nightly she sings on yon pomegranate tree. / Believe me, love, it was the nightingale.
http://www.youtube.com/watch?v=Z0GUf4QLh78

Elle disait qu'elle y pouvait rien que c'était comme ça, qu'il y avait une lutte incroyable. Que je ne pourrais pas moi y participer. Pas avec mes mains minuscules, pas avec mon souffle au coeur. Que le champ de bataille était d'un autre monde. Que respirer déjà pour elle c'était difficile, qu'elle aurait pu en crever la nuit. Elle disait pourtant bonheur. Je crois même qu'elle y croyait. Que le temps quand j'étais là s'arrêtait là comme ça et la laissait souffler. Que ses yeux ne saignaient plus. C'est ce que moi je croyais en tout cas. Et je pensais qu'elle aussi, elle pensait ça. Je ne m'y attendais pas. Pas comme ça. Je pensais que l'illusion pourrait durer plus longtemps et que le petit matin n'arriverait pas, qu'il se prolongerait en tout cas. Repoussant le jour. Inutile le jour. Pour les autres le jour. Pas pour moi. Pas pour nous. Il ne nous manquait pas. Il ne nous allait pas. Il ne faisait rien d'autre que flinguer les rétines et défoncer les dents. A un moment elle avait dit je m'en souviens qu'il faudrait l'éteindre, le jour. Et moi je pensais métaphore. Il y avait pourtant eu ce truc dans son regard. Habituellement franc, il avait fait cette figure folle, comme un salto au ralenti, imperceptible pour qui ne la connaissait pas. C'est-à-dire pas pour moi. Je l'avais perdue une première fois.

On ne sait jamais vraiment dans quelles lignes l'avenir se tisse, où le dénouement se joue, à quel moment le possible devient prévisible. Jamais. On relance toujours les dés avec la même foi, avec ce sentiment merveilleux de nouveauté.

Et pourtant, à la voir elle comme ça.

Il serait temps, c'est ce que je me dis maintenant. Il serait temps d'apprendre à lire. Il faudrait voir à quel point les couches successives de l'existence s'empilent sans jamais s'effacer. A quel point la colle ne fait que colmater la faille sans jamais l'effacer. Il faudrait voir les plaies des autres comme des nourritures, pas comme des sacerdoces. On ne fait rien avec une plaie. On en crève un point c'est tout. On en crève et tout ce qu'on peut faire c'est se donner l'illusion de pouvoir en repousser l'échéance. Quand en réalité, de pouvoir sur la temporalité finale, on n'en a aucun.

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