Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Lola

On croit se connaître. Pouvoir dire tu vois moi, je suis clairement comme ça. Et ça nous rassure. De penser savoir un peu quand même comment on est. Plutôt sensible, relativement intègre, assez lâche. Inconsciente. Totalement inconsciente du mal et du danger et de la haine. Bête et fière. C'est ce que Lola se disait en tout cas. Moi c'est une certaine forme de bêtise, c'est-à-dire un désintérêt total pour toute argumentation, qu'elle soit théorique, politique, artistique ou sur le prix des carottes. Pas de débat parce que tout peut être débattu sans qu'on n'arrive jamais vraiment à une conclusion théoriquement plus pertinente qu'une autre. Alors Lola la bêtise et les tripes. Même si là encore, pas besoin de bien la connaître pour savoir les murs et les barrières et le nombre incalculable de muselières. Mais pour ça l'alcool et la drogue. Les mecs aussi parfois mais pas vraiment parce que c'est compliqué le corps, la mort. Alors plutôt forts, aveugles et sourds. Tellement centrés sur eux qu'elle pouvait rester invisible jusqu'au fond de l'intime; et ça marchait assez bien. Méthode testée. Approuvée. Validée. Source inépuisable d'inspiration.

Le tout avec un air d'intense réflexion. J'ai besoin d'écrire moi tu vois. Généralement ils s'en foutaient mais ça la sortait des situations inconfortables dans lesquelles elle se mettait. Je ne sais pas quoi te dire je dois écrire. Tu m'as fait mal à la peau je dois écrire. Je n'ai pas envie de regarder ton corps je dois écrire. Je ne sais pas qui tu es je dois écrire. J'ai peur de tout je dois écrire. Je voudrais m'enfuir je dois écrire. Je ne veux pas choisir je dois écrire. 

C'était sans compter sur le matin. Impossible de mentir le matin. Ni pour eux ni pour elle. Jamais le matin n'avait menti. Il avait pu être fraternel quand il ne menait à rien. Il était la plupart du temps aussi chaleureux qu'un cimetière en hiver. Même quand elle avait, à la faveur de son effacement nocturne, osé donner le change sans repenser au passé ni s'inquiéter de l'avenir ou du regard d'un partenaire qui, certes la sentait, mais ne la regardait pas. C'était sans compter sur le matin où si Lola avait été seule elle aurait ri. Dansé peut être un peu aussi. Pris un thé et dansé avec le ridicule qui la caractérisait au quotidien. Replongé dans un lit et dans des draps sans problématiques de performance. Sans fantômes à exorciser.


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