Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Amandine

Elle avait été légère et drôle. Sans ambition grandiloquente. Sans envie intense d'exprimer. Juste vivre. Et aimer. Elle l'avait aimé lui et ça lui avait donné envie à elle de faire en sorte que le nid de leur amour soit à la hauteur. Alors elle avait travaillé et elle avait meublé le lieu. C'était beau, c'était propre, c'était cohérent et c'était leur vie. Incrustée dans un lieu fait de murs et de meubles et d'amour. Elle travaillait le jour pour habiter la nuit dans son nid avec lui. Puis ils l'avaient eu elle, la prolongation, l'expression en chair et en os de ce qu'ils avaient fait eux: l'amour. C'était logique et c'était la vie et c'était simple. La vie  comme on la vit. Comme eux la vivaient. Comme il fallait la vivre aussi mais ça elle n'y pensait pas trop. Elle trouvait ça logique et cohérent et même un peu rassurant. L'amour, le logement, l'enfant.

Elle trouvait ça beau, presque parfait, elle pensait juste que pour le confort de l'enfant il faudrait bien doubler l'épaisseur du matelas juste au cas où. C'est ce qu'elle avait dit quand elle avait commencé le deuxième travail. Pour l'enfant et le confort et l'avenir. Sous-entendu peut être les ambitions qu'elle n'avait pas eu elle, qu'elle n'avait pas pu pas eu le loisir l'opportunité d'avoir. Mais ça c'est ce que diront les gens de l'extérieur ceux qui ne comprennent rien et qui ne savent pas parce qu'ils n'ont pas vécu mais qu'ils ne peuvent s'empêcher d'avoir un avis. Sur tout. Toujours.

Elle avait ensuite arrêté de se justifier. Il y avait simplement ces deux assiettes dans le buffet familial qu'elle aimait et qu'elle voulait pour elle mais pas comme ça pas dans son nid comme ça moderne non. Ces assiettes qui valaient quelque chose de ridicule pour des assiettes, sur le plan monétaire. Ces assiettes d'une autre caste d'un autre rang mais qui si elle les voulait, et elle les voulait, nécessitaient un autre écrin. Elle n'avait rien dit de tout ça c'est juste le fruit d'une observation ce qui s'écrit ici. L'achat d'un nouveau vaisselier. C'est-à-dire d'un vaisselier antique qui allait bien avec les assiettes antiques mais pas avec l'appartement puis l'achat de vaisselle parce que les assiettes seules. Mais ça non plus elle ne l'avait pas énoncé, c'est ce que l'observation tire comme sens parce que sinon elle devient folle, à voir l'absurde sans sous-titre. Et les anciens meubles, c'est-à-dire les plus cohérents et les plus modernes qu'étaient même pas fatigués mais qu'allaient pas avec les assiettes, à la rue. Les meubles du début du nid poubelle. Parce qu'il fallait remplacer.

Mais des meubles antiques au milieu de meubles modernes dans un appartement moderne, il aurait probablement fallu un troisième boulot pour arriver à retisser une nouvelle cohérence sur le puzzle difforme de sens plastique. Pour que le nid ressemble de nouveau à. Que l'argent et le confort et l'avenir. Que la monstruosité du vaisselier ne se fasse pas sentir dans une salle-à-manger pas prévue pour. Une histoire de niveaux peut-être. Et quand on l'avait trouvée, ratatinée à quarante ans. Dans un placard à quarante ans. Se balançant les bras serrés sur ses genoux à quarante ans. Quand on l'avait trouvée c'était comme une claque: elle ne riait plus elle n'était plus légère elle n'était plus drôle. Elle n'était plus rien du tout mais elle avait des assiettes.


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