Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Pas moi

"Pas sûr. Il y a un côté musical et envoûtant dans tes textes. Les cadavres sont sûrs d'eux. Et les dictateurs." Message Privé, Facebook, 11 janvier 2013

Tu n’auras plus besoin de ça pour te prouver ta féminité. C’est ce qu’elle avait dit. Elle avait planté ses yeux dans le miens et égrainé toutes les choses que je devais entendre, les unes après les autres. Elle retournait les cartes que j’avais tirées mais ça ne voulait rien dire les cartes parce que c’était les mots qui comptaient. Ce qu’elle disait c’était que les temps se suivent, que les histoires s’ajoutent les unes aux autres et qu’être ce que j’avais été depuis des mois ne m’empêcherait pas d’être aussi heureuse. Ce qu’elle avait dit elle l’avait dit à ce moment là et les mots n’avaient duré que le temps que les ondes sonores résonnent dans l’air du soir. Ce qu’elle avait dit pourtant elle le disait encore dans le silence et dans l’absence des nuits qui suivirent, atroces de solitude. Elle avait dit tu souffriras encore c’est ce qui fait que tu es forte. Elle avait dit tu aimeras aussi. Là, mes lèvres s’étaient fendues d’un méchant sourire. Parce que moi j’aime pas tu vois. Moi j’écris. Je reste en vie. Je balance mes tripes et celles des autres à la gueule de ceux qui veulent bien lire. Ta gueule elle avait dit. Elle avait dit ça tout sourire. Sourire gentil. Elle avait dit tu verras et tu pourras le faire et malgré ça tu écriras. J’avais commencé à me révolter à dire non tu peux pas me dire ça c’est de la merde tes cartes et c’est injuste ce que tu me dis moi j’écris. Je frotte ma peau contre bitume de Paris, je vais dans ses artères les plus sordides, je mastique tout ce qu’on fout dans ma bouche avec attention. Je mange toute la merde que la vie moderne produit et j’en fais des lignes de béton armé sur lesquelles l’humain qui me lit défonce sa rétine et se prend un peu dans la face ce que c’est d’être en vie. Je peux pas capituler c’est impossible. Tu n’as pas le droit de me condamner à ça, à cette mort lente et neutre de l’amour. Mais elle, avec sa science et ses lubies, elle s’en foutait de mon avis. Elle me donnait le sien. Elle était pas là pour me convaincre. Elle me disait ce qu’elle voyait, ce qu’elle pensait. Et elle pensait elle que j’aimerai encore. Que j’aimerai quelque chose de beau. Que j’avais beau me défendre. Je lui disais que c’était bourgeois ce qu’elle pensait. Elle s’en foutait. Elle me demandait si c’était bourgeois de prendre le temps de respirer à deux sans rien faire. De parler et puis se taire. De croire à la possibilité d’un asile humain. D’avoir le courage de le construire ce refuge. Elle ne disait que ça aimer et puis souffrir. Elle l’avait dit et ça avait duré trente secondes. Le temps à peine de dire non, merci, pas moi. Pas pour moi. C’était fini les jeux faits. Le moment terminé. Ce n’est qu’après. Quand à un moment donné non préparé. Ou alors juste avant quand ce jour-là même il m’avait frôlé. J’avais beau lutter. Faire preuve de courage et de force. La vérité n’avait pas de code moral. Elle ne disait pas solitude et désespoir. Elle était impossible à nier. Elle s’engouffrait dans la chair, ma peau, mes poils, mes nerfs. Elle disait que je n’avais plus besoin de faire ce que j’avais fait et que j’avais le droit d’attendre dans le noir parce que le noir était aussi la couleur de la paix quand les hommes et les femmes déposent les armes et se taisent. Quand la ville continue à produire le tumulte mais que les gens se disent enfin les choses à même le corps.

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