Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Une femme sous influence

"ton art de mettre les garçons blindés à genoux" Message Privé, Facebook, 14 décembre 2012

Il pensait et disait qu’il aimait les choses simples. Celles qui se font comme ça, comme une lettre à la Poste. Si tu veux tu fais. Ce qu’il cherchait surtout c’était à atteindre la limite de l’autre, le moment où elle se révolterait en disant s’en est trop voyons pas ça pas moi. Il cherchait aussi un peu à voir la folie de la surenchère, celle qui diminue l’autre en la faisant passer pour une caricature d’elle-même, faussement provocante – absolument vulgaire. C’est pour ça, celle-là, il ne l’avait pas vue venir. Il avait eu envie de se faire rembarrer et avait choisi la plus discrète de toutes, celle dont il faut arracher le regard au sol pour la saisir. Il l’avait vue de loin. Il l’avait attendue. Au début, le corps fermé et la voix feutrée, il s’était dit que ça irait vite. La gueule flattée puis outrée. Le compliment qui désarçonne et l’attaque franche, les questions directes : elle allait se rebeller. Rougir. Partir. Elle allait peut être fondre et rentrer se masturber sur cette relation spontanée si loin de ce qu’elle connaissait. Elle allait peut être se jeter dans la première église venue demander pardon à Dieu d’avoir attiré l’attention d’un inconnu malgré le regard éteint mais à cause des jambes et de la jupe trop courte. Elle allait très certainement le rejeter. Comme il le méritait.

Quand elle avait pris l’option polie de celle qui ne te suivra pas ce soir mais qui écoute ce que tu as à dire il avait ri intérieurement. Rien de pire, et donc de meilleur, que celles qui usent de condescendance envers les pauvres pulsions masculines. Oui monsieur parlez donc je comprends je sais que vous n’êtes qu’un amas d’hormones ingérables et je compatis moi-même parfois la nuit. Parlez-moi puisque vous êtes là, évitez d’en écœurer une autre. C’est toujours un peu flatteur si on occulte le nombre de vagins que vous avez dû arrêter avant le mien. Oui non c’est vrai je ne suis pas tout à fait française. Oui non c’est vrai je ne suis pas employée de banque. Oui non c’est vrai c’est pas tous les jours que je choppe à Beaubourg. Il était parti avec son numéro qu’était peut être faux, affamé. Frigorifié et seul.

C’est pour ça le lendemain déjà il n’y avait pas cru et jusqu’au bout il s’était rassuré en se disant qu’il s’y prenait mal et qu’elle était sûrement en train de se laver pour la dixième fois depuis la veille pour n’être pas l’objet du fantasme d’un inconnu si sale qu’il était capable de lui dire les choses là comme ça en plein milieu du hall du musée. Quand elle était arrivée, tout aussi feutrée que la veille, il s’était dit qu’elle était peut être encore pire que ça : inconsciente de la nature lascive de sa proposition. Et pourtant, le regard franc, patient. Il en avait même légèrement tremblé. A aucun moment elle n’avait dit non et rapidement il avait compris que la passivité était celle du prédateur qui sait que sa proie va tomber volontairement dans sa gueule. Que les jambes de la veille étaient là précisément pour ça : arriver à ce moment-là. Et que d’ingénue. C’est ce qu’il comprenait à mesure qu’il se voyait incapable de tenir. C’est ce que ses yeux et son corps à elle disaient à mesure qu’il se sentait partir. C’était d’ailleurs ce qu’elle avait dit quand elle l’avait abandonné, effondré sur le sol de son atelier : la raison du plus fort est toujours la meilleure.

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