Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Halloween

http://youtu.be/lzQ8GDBA8Is

Et il y avait cette femme. M. La cinquantaine bien tassée. Elle vit avec ses poules, son mari et ses chiens. On marche dans la terre partout. C'est sale et ça pue. M a ce prénom pourri et se fout des sensibleries. Et M nous racontait, à E et moi, la mort de son chien Halloween. C'est qu'E est partie de Sarliac sur L'Isle pour monter à Paris. Elle est dirige aujourd'hui une collection de vêtements casual chic pour la marque F et vit à Sydney. Mais le truc avec E, c'est qu'elle n'a jamais rien perdu de ses origines et qu'elle n'en a jamais eu honte. La tambouille à base de bouse de vache, les silos de maïs: ses meilleurs souvenirs. Donc, M et sa nature de bois brut. Halloween est mort à quatorze ans. On se disait que c'était un âge correct. Mais M a les yeux brouillés. Elle nous dit tu sais les chiens entre eux. Un soir, je rentre chez moi avec la petite de D. Je la gardais parce qu'il bossait et que la belle fille était chez le coiffeur. Je vois le nouveau chien et la hargneuse dans un coin. Pas Halloween. Rien d'inhabituel. C'est juste que je le sentais pas. Tu sais, ces trucs-là tu les sens. Alors je cherche Halloween et je le trouve dehors dans un coin à côté de la grange. Il bronche pas. Il pleure pas. Je le sens pas. J'appelle le vétérinaire parce que je vois qu'il est abîmé. C'est souvent que ça arrive. Ils sont comme ça ils se battent. C'est des chiens. Mais je le sens pas. Je dis au véto que je viendrais à dix sept heures, quand j'en aurais fini avec la petite et que sa mère sera passée. Mais je le sens pas alors je touche Halloween. Et je le sens pas. Vraiment pas. Les poils sont là. La chair est là. Mais le corps n'est pas là. C'est brisé sous mes doigts, explosé. Et Halloween qui bronche pas. Qui bouge pas. Les chiens qui disent rien mais je sais. C'est des chiens. Je sais pas pourquoi ça me fait ça. Halloween a quatorze ans et c'est normal, c'est des chiens. Je prends la petite et je la pose chez O. Je prends le chien et je l'emmène chez le véto. Je sais qu'il pourra rien le véto mais moi je peux pas le laisser comme ça. Halloween, quatorze ans. Le véto il veut bien mais il peut pas. Il veut bien mais pour cent euros il pourra seulement planter une aiguille dans le coeur d'Halloween parce que les os et les poumons sont défoncés. Moi je sais pas, je veux bien faire. Halloween dit toujours rien. Mais je peux pas le laisser là. On prend donc pour cent euros l'option piqûre et ses yeux qui me regardent. Moi j'y peux rien et je leur en veux pas. C'est des chiens. Quand je suis rentrée j'ai pleuré dans la voiture. Je voulais pas, je pouvais pas leur en vouloir. C'est comme ça, c'est des chiens. J'aurais voulu l'enterrer mais je l'ai laissé là bas. Chez le véto. Je voulais faire un trou, creuser pour l'enterrer mais c'était trop tard et ça changerait rien. Il était mort comme ça, une aiguille dans le coeur et les yeux ancrés dans les miens. C'est des chiens, entre eux c'est comme ça.

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