Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Elizabeth

Elizabeth a deux gamines. Elles sont belles. Différentes et belles. Elles ont tout pour elles. Plutôt bien nées. Juste assez différentes pour se compléter. L’éducation qui va bien. L’habitude des voyages et un soupçon de folie. Elizabeth les trouve pas mal, ses jolies. Elle les aime bien. Le truc c’est qu’Elizabeth a beau les trouver belles, leur vouloir du bien, les coiffer pour les montrer, parfois elle aimerait bien avoir de l’air Elizabeth. Revenir en arrière. Pouvoir prendre son sac et se tirer avant que leur père, aux deux fillettes, ne finisse de lui flinguer sa vie, de lui dévorer son âme. Parce que leur père a beau avoir des gènes chouettes, de dandy romanesque, il vieillit. Son nez c’est moins beau. Ses joues c’est lourdeau. Ses yeux ont l’air plus fumeux que profonds. Ses traits creusés. Ses mains agitées.

Et puis Elizabeth a ce corps qui a faim. Qui est beau. Qui est femme, pas que mère. Ce corps qu’il voit plus, lui le père. Celui qui préfère boire. Qui se fout de lui plaire. Et les robes et les jupes et les ongles rouges pour rien ça fatigue. Et les filles qui sont belles et elle qui est femme. Qui ne veut pas mourir dans le mirage bourgeois. Qui cherche dans l’autre homme. Celui qui aime son cul plus que ses gosses. Qui y cherche la porte de sortie. Le droit d’asile. L’issue. L’espace autre. L’impossible endroit où elle pourrait être un peu mère, de nouveau femme. Là où elle pourrait nourrir les gamines à leur faim sans oublier la sienne. Pouvoir prendre l’air. Enfin. Un nouveau jeu, une autre donne.

Bien entendu, Elizabeth fait semblant. Ne pas voir. Le drame pour les gamines. Mais pour leur bien. L’illusion de l’ailleurs. Qu’elle a déjà tenté. Qui a déjà échoué. Qui n’est pas là où on le croit. Mais le courage d’Elizabeth qui se tire avec ses gamines sous le bras. Qui les emmène à l’autre bout du monde sans moyens ni raison. Qui leur explose tous les codes. Qui déchire leurs robes chasubles. Qui les balance dans une basse cour avec un sécateur. Qui leur donne à elles aussi accès à la profondeur, à la perspective, aux mouvements du monde. Au réel sans fard. Le putain de courage d’Elizabeth.


Aucun commentaire: