Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Toxique - petite fille

Les yeux perçants dont le regard déchire le visage ridé. Un acharnement complice : parce que tu dois souffrir ce que j’ai souffert, parce que la souffrance est la condition de ta condition, parce que je souffre à cause de toi. Pourquoi n’es-tu pas un garçon ? Le mouvement des pupilles et les lèvres sèches, pincées, sont comme autant de sondes dans ce secret que l’âgée aurait préféré ne pas percer. Mais la curiosité : que se passe-t-il, peau d’abricot ? Par où le mal est-il entré ?

Parce que, d’aspect, rien n’a changé. La blondeur est la même et la peau toujours blanche. C’est peut être le silence assourdissant. Un silence qui gronde, qui vibre, qui hurle de tout ce dont il n’est pas vide. C’est qu’il ne faut rien dire, qu’il n’y a rien à dire. L’animal blessé se tord de douleur et se cache. Quand deux animaux sont blessés par celui qui les unit, ils deviennent ennemis et protègent le bourreau. Ce qui les lie les déchire, ils se rejettent, ils sont fondamentalement autres.

Et la vieille de s’abattre de toute son acidité dans le cœur ébréché de son enfant, il faut arracher la spontanéité, lapider la naïveté, lacérer toute joie. Sa masse informe menace de s'effondrer, bourrelet par bourrelet, sur le sol carrelé, immaculé. Le seul moyen de les atteindre, la seule façon de les condamner : le sacrifice. Jason ne comprenait pas que Médée le punisse, il ne comprenait pas qu’elle s’ampute dans le seul but de s’affirmer. Il ne voyait que ses mains tordues et ses joues creusées, il ne voyait que les hurlements. Jason la croyait hystérique. Jason ne comprenait pas. A travers l’enfant, à travers son innocence, elle pouvait faire entendre sa voix, elle pouvait transpercer le cœur de son bourreau, faire ce qu’elle aurait dû faire avant, réussir là où elle avait échoué. La mort de l’enfant rendait sa présence d’autant plus réelle et brûlante que son vivant. La mort de l'enfant les unissait dans la douleur.

Il fallait détruire sa petite fille, sa chair, son sang, cette future trainée moite.

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