Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Toxique 2


Blonde : Mais que voulez-vous que je vous dise, à la fin ? J’écris, oui. Ça me prend comme une envie de chier. Est-ce que vous pourriez mener un interrogatoire de la sorte simplement sous prétexte que ma merde ne vous revient pas, qu’elle est trop molle, trop verte, trop odorante, trop dure, impure, pourrie, ou sale ?

L’enquêteur : On ne parle pas de merde, on parle de textes, de mots, de phrases, que dis-je, de lignes ! Arrêtez un peu de faire l’idiote, de faire comme si vous ne saviez pas, comme si c’était gratuit. Comme si une ligne pouvait partir dans le tuyau d’écoulement des eaux usagées. C’est infini une ligne, ça a même des tentacules, toutes plus infinies les unes que les autres. Elles se multiplient, elles contaminent. Et puis c’est la merde. Précisément. Mais pas celle qui pue, non, celle qui pustule plutôt. Celle qui vient s’installer dans votre tête, à côté de vos rêves d’enfants. C’est ça vos lignes, des petites aiguilles, comme les chenilles processionnaires, ça ne s’arrête jamais. Et vous brûlez nos esprits, vous mettez nos corps à vif. Vous nous refusez le confort auquel tout être humain a droit. Vous êtes sans pitié, monstrueuse. A gerber.

Blonde :
Regardez-moi, monsieur, regardez-moi. Vous m’insultez depuis des jours, vous m’avez tuée, déjà, et vous ne me regardez pas. Mais regardez-moi, voyez, je ne suis que moi. Je ris. Je parle. Je vis. J’écris, ça m’arrive. Mais au nom de quoi me condamnez-vous pour les lignes que je produis, puisque je vous dis qu’il s’agit de ma merde, de mes déjections. Si elles vous rebutent, chassez-en la cause mais laissez-moi, je vous en prie. Laissez-moi en paix. Vous m’avez enlevé mes mots. Vous m’avez enlevé mes feuilles. Vous m’avez enlevé mes lignes. Vous m’avez enlevé mon droit. Regardez-moi.

L’enquêteur : De quelle cause parlez-vous donc ? De la difficulté à être, peut-être ? Je vous l’ai déjà dit, nous en sommes tous là, votre nombril n’est pas le plus mal loti et, quand bien même cela serait le cas, ça ne vous donnerait aucunement le droit de saper le moral des troupes. Foutez-nous la paix, gardez votre fiel pour vous. Que ça se transforme en ulcère, en cancer à l’anus, en pourriture, pas en dysenterie verbale.

Blondie : Quand je vous disais d’en chasser la cause, je vous disais surtout que je n’obligeais personne à me lire, je vous disais aussi que c’est à vous de vous demander pourquoi cela importe à vos yeux. On pourrait dire, après tout, qu’il ne s’agit que d’élucubrations inoffensives produites par un cerveau dément et sans prise aucune sur un cerveau aussi sain que le vôtre. Vous devriez en rire. C’est pourquoi je vous demande, depuis des siècles déjà, de me laisser aller. A quoi bon m’attacher, je ne suis que l’hystérie. Dans une marge un peu floue où j’évolue, dans un far west absolu, si loin de vous.

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