Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Alphonse

Il ronronne, il gémit. De plaisir, sur mes jambes. C'est chaud, confort. Et ma main sur sa tête et sa tête sur mes pages. Il marche sur tous mes projets, sur la petite importance que j'accorde à mes projets. Il me ramène à l'essentiel: lui, son ronron. Aux chiottes les pages, aux chiottes l'écran. Alléluia la pâtée. La suffisance des gens et le pathos humain sont autant de coquilles vides que ses pattes jettent comme des souris mortes, rigides. Mes petits aléas et la profondeur abyssale de mon nombril l'impressionnent moins que la danse des pigeons; le néant de mon être lui semble moins palpable que les plis de mon cou entre lesquels il se glisse quand mes défenses rejoignent le royaume de Morphée. En un mot, je lui suffit.
Je lui disais, le cœur brisé, quel monstre j'étais. Il se mit dos à moi, la queue en l'air et positionna sa deuxième bouche, rose et puante, à quelques centimètres cruciaux de mon nez: la honte, c'est bon pour les chiens, me disait l'orifice nauséabond. La pitié aussi. Ronronne, qu'il disait. Offre tes bras, tes doigts, tes poils et ravale ta putain d'empathie.

Aujourd'hui, dans son lit, les tuyaux, les désirs, la carotide trop pleine et les reins asséchés. Je voudrais sans vouloir qu'il arrête de voler d'autres vies que la sienne. Je voudrais sans vouloir que l'impossible soit. Je voudrais sans vouloir que le ballet incessant et interminable des hommes blancs, incohérents, mathématiques et statistiques s'arrête. Je voudrais sans vouloir qu'il marche ou qu'il crève, qu'il vous rende vos vies chéries.

Mais c'est à cette bouche perlée de fiente qu'il me faut penser, à ce qu'elle me dirait: ta gueule.

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