Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Eleonor

http://youtu.be/Ja-LCsTU-eM

C'est le cuisinier? Le vendeur de chaussures alors? Non, toujours pas? Et il n'y avait pas un photographe ou un chanteur de rock, quelque chose comme ça?

C'est là qu'Eleonor comprit l'histoire du fil. Impossible de suivre, pour elle comme pour les autres, la surenchère de ses conquêtes. Installée sur son divan, les jambes gaînées de noir et repliées sur le côté comme la queue d'un chat, elle limait ses ongles en se remémorant la conversation de la veille. Comme elle s'était sentie sale et nulle dans le regard incrédule de son amie. Impossible de partager l'hystérie avec laquelle elle répandait les débordements de ses entrailles. Toujours entière et capable d'évoquer les cimes des monts les plus vertigineux pour illustrer l'intensité de ses sentiments. Le vertige et l'effroi dans le regard des gars qui pensaient eux à consommer un bout de viande saignante et charmante. Pensant que sa liberté de ton était un écho de la liberté de ses moeurs. Fuyant dès que son regard dans le noir prenait des teintes de lavande prête à être cueillie.

Elle y avait cru à chaque fois. Elle avait voulu y croire. Elle voulait y croire. Elle voulait qu'eux y croient. Et puis elle s'en foutait aussi. Simplement parfois l'idée d'être aimée, pourquoi pas. Mais pas lourdement, non, avec panache et humour. Tendresse et fougue. Eleonor avec sa poitrine pulpeuse et son franc parler. Ses dons de chanteuse, d'écrivaine et d'amante. Tous le savaient, ça se sentait. Son port de tête, comtesse de l'Est. Ses mouvements de hanche, reine d'un harem. La finesse de ses doigts, intellectuelle blasée.

La cigarette entre les doigts, les cent pas sur le carrelage de marbre, le peignoir de soie trop long qui glissait sur le sol - écume vive et sombre dans son sillage. Encore déçue. Dans le lit, la conquête dormait et Eleonor se demandait qui d'elle ou de ce lui était la proie. Eleonor voulait sortir du champ lexical de la chasse. Marchant avec brusquerie, comme dans les romans. Rageuse. La fumée sortait de ses narines en quantité, composant  un nuage dense autour de sa lourde chevelure de sorte que sa figure, de son crâne jusqu'au sol, formait comme une pièce de marbre flottant dans une mare de pétrole aux teintes métalliques. La déesse bafouée prête à frapper. D'énervement ses traits se durcissaient encore. Et l'homme qu'elle avait fini par réveiller à l'aide d'un verre d'eau glacée. Encouragé à retrouver ses vêtements sur le pallier sous peine de tâter de ses griffes et de ses crocs.

Toutes ces scènes superposées. Eleonor voulait dormir enfin. Rêver.


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