Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Lucile

L'homme, qui passait des vacances dans sa famille, s'est enfui juste après son geste, torse nu, en short et en sandales. Il est activement recherché par les gendarmes. 

Le ventre bombé de Lucile et la sève qui court dans les branches, sous ses pieds. Le vert qui éclate, presque cinglant, des feuilles vaillantes qui osent émerger au printemps (alors qu’on sait tous ce qui les attend dès octobre). Le soleil quand le vent est encore frais. La joie de savoir que le ventre s’alourdit. Que ça se déplace du dedans, de gauche à droite, suivant la voix de celui qui est papa.

Marcher tant qu’on peut. Aller nager aussi un peu. Caresser le rêve de cette équation qui fait que les mathématiques les plus primaires sont niées. Quand un plus un font plus que deux. Ouais. Simple comme ça. Lucile sourit pas mal parce qu’elle se dit que ce ventre bombé lui donne le droit d’apprécier les petits riens qui font le tout du quotidien. Elle sourit parce que les micro-tortures de son enfance lui semblent maintenant comme ces quelques sillons que sa peau a développés à force de s’étendre. Des stigmates sans intérêt, une ponctuation corporelle, un décor à habiter.

Lucile a ce pouvoir incroyable. Rayer le passé. Lucile a cassé tous les pots du souvenir, lissé tous les plis à force de gonfler, balayé ses entrailles. Lucile, sereine, n’a pas oublié ses démons, elle leur a juste donné un peu de repos. L’espoir des crises d’adolescence à venir. La certitude des nuits tronquées. Lucile le sait mais Lucile a ce pouvoir incroyable : savoir que dans son ventre se trame la meilleure des vengeances contre cet autrefois. Ce que Lucile ne sait pas, mieux vaut qu’elle ne le sache pas encore. Pas tout de suite. Pas déjà. Si Lucile savait déjà comment un problème de crème solaire. Si Lucile savait ça. Heureusement, les hormones et la fatigue des huit premiers mois de vie du nourrisson lui auront fait oublier la plénitude de l’instant présent. Elle n’aura plus qu’à ramasser les morceaux de son rêve. Il lui faudra oublier son rêve. Trouver une façon d’effacer l’incommensurable bêtise humaine et sa capacité à briser tous les prémisses du mot beau.


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