Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Enfant des années 80

Enfant des années 80, j’ai grandi au son des postes-radio Sony : quand la pluie tombait sur mes Velux et que je pleurais sur le désamour de mes amours, il suffisait que je tende ma main vers l’être noir et mat qui trônait sur ma commode pour que tout s’arrange. Pousser le bouton, un coup vers la droite pour le CD et deux pour la radio. Pour écouter une cassette : position initiale. Trois options pour une infinité de choix. A l’époque mon cœur balançait entre NRJ et Skyrock, seules radios jeunes audibles depuis les tréfonds de la campagne périgourdine. A l’époque, entre le primaire et le collège, quelque chose était rompu mais invisible, les restes de mon enfance faisaient encore surface. J’avais quelques CD, surtout des deux titres que je considérais comme les pierres du petit poucet : mes goûts sont passés par là, j’ai eu besoin de ça, le désir de posséder ces 3 minutes. Ma relation au CD était donc respectueuse. Pour les cassettes, c’était différent, on pouvait les toucher sans les abîmer et j’adorais coincer mon ongle dans les crans et faire dérouler la bande magnétique. Les cassettes étaient malléables, un palimpseste infini. A l’aide de stickers et de marqueurs, j’en faisais mes autoportraits : il fallait non seulement happer les sons d’une époque, l’oreille aiguisée et la radio bien réglée, mais avoir la cassette aux aguets et le doigt prêt à bondir. Sur les 90 minutes que duraient le recto-verso, je travaillais méticuleusement les suites pour que l’écoute puisse se faire sans heurts. Bien évidemment, mes goûts étaient subjectifs, ce qui fait que ma réalisation ultime fût une cassette où s’enchaînaient Céline Dion sur le Titanic, la bande originale de Godzilla, les Beastie Boys et Doc Gyneco. Mais aujourd’hui encore, quand je joue mes cassettes en rentrant chez ma mère, entourée de mes livres d’autrefois, j’ai un pincement au cœur parce que je me souviens de cet autrefois où rien ne comptait plus que d’appuyer sur le bouton enregistrement au bon moment. 

Comme dans tous les voyages initiatiques, l’arrachement à cet Eden fût brutal. Il eut lieu dans les rayons jaune pisse du Leclerc de Périgueux. Je revois encore mes pieds sur le carrelage et la poussière sur les étagères. Je sais ma tête baissée : ma mère tentait de m’expliquer que cet acte n’était pas gratuit. Les prémisses d’Hadopi : le prix des cassettes avait augmenté. Ma logique enfantine s’est figée et les bras m’en sont tombés : les ancêtres du CD que j’aimais de tout mon cœur parce qu’elles étaient malléables mais aussi et surtout parce qu’elles étaient les mal aimées de la modernité avaient été punies par le gouvernement à cause de moi et de ma manie du bouton enregistrement.

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