Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Déclaration à l'haleine rance

Toute la moisissure du monde émanait du petit morceau rabougri qui avait survécu à une semaine intense d'amputations. Tendre et crémeux, de qualité. Sa joie, il la trouvait au contact de la langue, lorsqu'il se laissait aller à fondre pour la couvrir, pour l'englober. C'était d'ailleurs la source de son malheur: ce qu'il aimait le plus, c'était sa perte. Il y avait pourtant tant d'autres moments dans son existence qu'il aurait pu chérir, ces mêmes moments qui faisaient vibrer la langue à son contact: l'origine terreuse et vallonnée. Les poils et les pis, les arbres et les demeures, le gris des murs et le vert du gazon moquette. Il avait adoré le sourire ébahi et les yeux brillants qu'elle avait eu en le découvrant, l'euphorie quasi enfantine des racines qui vibraient en elle. "Vous boirez du Porto avec?" L'entremetteur s'était même trouvé drôle, inspiré.

La ferveur religieuse du premier contact, le respect mutuel. Il s'était senti chanceux, flatté. Elle n'avait pas lésiné, tant la mise en scène que la qualité du script: rien n'était laissé au hasard. Il savait bien que c'était rare dans ce monde pressé et insensible.

Très vite cependant, il avait compris. La destination, dans la forme, serait la même mais la disparition, l'éjection de son être lui permettait d'accomplir le miracle: la réunion. Le sang qui battait dans ce corps avait les mêmes nervures que sa chair, ils étaient faits du même bois.

Le dernier jour enfin, ses restes acceptaient leur sort et furent honorés qu'elle ait pensé aux biscuits. Ce qu'il comprenait moins, c'était les larmes qui s'accumulaient au bord des cils.

C'est que le Stilton ne savait pas son essence de madeleine.

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