Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Minutes

Ça commence avec un petit cri dans la poitrine, les mâchoires des touristes tombent tandis qu’ils tirent tirent tirent sur leurs orbites et que la fine pellicule cutanée se retire, se met en plis dans les coins et libère les globes luisants, exorbités. De Passy à Bir Hakeim, l’accordéon expire et les mains se collent aux vitres, tous doigts dehors, extatiques devant la dame de fer et son reflet dans le plomb de la Seine. Les bouches béantes et les dents au rendez-vous, on voit même le Sacré Cœur. Le souffle court et la buée qui s’installe. Des grappes électriques, une envie folle de se jeter du pont, de s’envoler tellement ça ressemble aux photos. La nuit, c’est pire : ça brille et l’eau de vie qui coule dans les veines et rythme les battements de leur cœur fait plus chaud, moins stable, plus impatient encore. Il y en a même certains qui louchent, l’iris dilaté et l’émotion débordante. On le savait, on le voyait mais là c’est vrai, regarde, elle existe. 

Une minute trente, de Passy à Bir Hakeim. Une minute trente, le temps de profiter de l'euphorie pour leur jouer un petit Brazil. Une minute trente, le temps de leur susurrer des mots doux en espagnol. Une minute trente, dans un wagon, pour avoir l'étranger en commun. Une minute trente pour partager, échanger: Paris comme terrain d'égalité.

Passy, fuite en avant des touristes, gobeurs d'images clichés fanés.  Agglutinés sur le quai.
Et l'accordéoniste qui n'a plus que l'instrument. 
Qui, pendant une minute trente, a cru.

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