Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Bel ami

Et puis il dit ça comme ça, tout facilement, comme une évidence. Ta tête tuméfiée toute chaude et toute humide, tes cheveux ébouriffés et la couette qui transpire : « faut sortir ». Les yeux écarquillés et la bouche béante et fermée à la fois, l’antisociale touche le fond. Sortir de quoi ? C’est vrai que c’est simple mais pas tellement, il suffirait de tendre une jambe après l’autre, de pousser l’édredon, de ramasser les chaussettes sales et de mettre la machine en route. Ça sentirait bon la lavande, le carrelage tout brillant pourrait presque sourire et l’odeur de la tarte dans le four ferait saliver tout un tas d’invités. Il suffirait de poser un pied après l’autre, comme ça, tranquillement, de prendre appui sur ses jambes et de s’habiller. Il suffirait de mettre les clefs dans ta poche, d’ouvrir la porte et de descendre l’escalier. Il suffirait de dire bonjour aux gens, ou de leur sourire, tout simplement. Il suffirait d’écouter les oiseaux et de faire les courses, gentiment, en choisissant le bon beurre et la bonne taille de pâtes. Payer, rentrer. Mais les néons et les pigeons, tu peux pas comprendre. Et les gens qui ruminent et qui grondent, leur malheur dégoûtant, leur bonheur encore pire. Et les voitures qui roulent comme c’est pas permis. L’appartement menaçant et l’écran géant, magnétique, antipathique. L’écran qui fixe de son œil acéré les moindres gestes mous et rapiécés. L’écran qui accuse et ne s’apitoie pas. L’écran blanc, comme mon néant.

Articule, ça ira déjà mieux. C’est vrai ça, c’est facile après tout, de sortir un mot après l’autre, sagement, de rire de leur facilité. Il suffirait de dire regarde comme mes phrases sont belles, regarde comme elles sont ridicules. Ah bah oui, mais qu’est-ce qui m’a pris ?

La langue remue déjà dans la bouche et le sourire pourrait poindre sur le coin des lèvres mais les sons se bousculent dans la gorge, dans la tête. Le silence est d’or et les mots sont des cendres qui se mélangent et se fondent en une interminable mélopée télépathique. Mais parle, voyons, ne soit pas si bornée. Et les larmes se ruent dans les yeux, sur la peau rougie et rythment le souffle saccadé.

Il pleut.

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