Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Vente de fleurs au château

Je n’ai pas l’habitude de t’écrire depuis mon ordinateur, sur mes genoux, dans un train. C’est que Louis Amstrong me susurre des mots doux qui rythment parfaitement l’avancée de cet après midi d’une blancheur hagarde et vacancière. Le train roule doucement, on voit les voitures et les camions qui ponctuent la ligne d’horizon à mesure qu’elle se mue de maisons mitoyennes en arbres et plantations. L’hiver se traine, humide et repoussant. Il campe dans ma gorge et obstrue mes narines. Il a même tordu ma voix. L’hiver nous colle à la peau et ne veut pas détacher la laisse. Il aime nous voir suffoquer, supplier, oublier.

(C’est fou, je passe devant des locaux de la marque Quelle : d’un autre âge, le logo fait foi, les fenêtres donnent sur des piles infinies de boîtes à chaussures et de catalogues jaunis).

Ça sent les vacances, ça sent l’innocence. Je suis dans un wagon vide et bruyant. Vide puisque je suis seule à mes places, pas de voisin direct. Plein parce qu’il y a ces amis, cette famille. Deux couples et quatre enfants si j’ai bien compté. Je suis assez sûre de moi pour les marmots puisqu’ils gesticulent constamment et qu’ils ont probablement escaladé tous les compartiments à bagages du wagon. Pour les parents, je les devine dans un groupe de six fauteuils ; je sais qu’il n’y a que deux « mamans », qu’il y a aussi un « Daddy » et un « Eric » qui est peut être le papa d’un autre. Et tout ça me berce et m’irrite. Ça me berce parce que ça me rappelle du déjà vu, un sentiment dans l’estomac et les sandwichs au pain de mie que maman faisait autrefois, quand on allait à Paris. Ça m’irrite parce que j’ai décidé que je n’étais plus, que je ne ferais plus, que je ne reproduirais pas. Les bottes aigle et la raie sur le côté. Les oreilles bien dégagées et le vote à droite. La pomme en dessert, les chaussures de marche et les occupations pragmatiques. Le sac à dos, la gourde et le mépris de l’art.

J’étais en train de macérer quand une image est revenue, ou plutôt une sensation. Quand j’étais enfant, ce train, cette ligne, ce temps, c’était la droite du père, ma destination. Ou plutôt, mon origine, puisque quitter Paris n’est devenu synonyme de vacances que depuis peu. C’est depuis toujours une libération. Et, quitter Paris, c’était un douloureux apaisement. Il fallait passer par le confessionnal. Il fallait embrasser la joue gluante et froide. Il fallait dire qu’on aime cette déchéance et que les quelques jours scotchées à un écran nous avaient comblées. En somme, il fallait mentir et croire à ses mensonges. Il fallait rentrer pour voir une mère perdue, pour ses reproches sur l’odeur dégueulasse de nos fringues d’enfants. Il fallait rentrer pour se laver. Il fallait rentrer pour apprendre à manger, à se lever, à se laver soi. Il fallait rentrer pour oublier la bouteille de coca. Il fallait rentrer pour exorciser le regard larmoyant. Il fallait rentrer entre ennemies.

Je ne sais pas pourquoi je te dis tout ça. Tu as toujours été mon réceptacle à idées de merde. Tu n’en as jamais été souillée. Tu n’as jamais failli à ce nous citadelle.

Les enfants qui se découvraient et se mesuraient les uns les autres, dans deux catégories distinctes, les grands, de 8 ans et les petites de 6 ans, ont fini de se jauger : on sait qui est la plus jolie. Et le mépris des mini tyrans pointe le bout de son nez. On se frappe sans le vouloir et on n’entend que ce que l’on veut. Les parents, occupés à caqueter entre eux, ignorent les hurlements des bambins. Moi, je les entends, et je sais que notre salut ne viendra pas d’eux.

A ma femme.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

bien reçu...
oh comme je ne veux/peux pas accepter ta dernière phrase...je la refuse. Dans le vide, pour du vent mais quel vent, mon dieu quel vent!Parmi les (au delà des)merveilleux nuages?!