
Assise sur le seuil, entre ces deux années, j’ai dans mon dos cette maison toute pourrie, louée pour la nuit, comme un hôtel de passes. Mes amis endormis y font le deuil d’une vie qu’ils ont cramée à coup d’imitations de la Piéta sur un air de Dalida. Je regarde un poulailler et nos voitures fatiguées, cette ambiance surréelle a ce côté intemporel qu’ont tous ces instants que l’on sait éphémères.
Et c’est de marbre que le soleil se lève, jetant sur la brume matinale un regard indifférent. Cette lueur me plaît et j’aime ce froid gris-blanc contre toi. Mais c’est fini : tu es là et déjà, tu n’existes plus. Tu vas repartir comme tu es venu, me laissant là où je suis, sans que jamais je ne sache pourquoi. Ma vie est comme un livre trop chargé, dans cet inconciliable état d’être où chaque page refuse de se tourner pour laisser place à l’inexorable Autre qui viendra te remplacer.
Alors oui, je te dois des pages d’écriture, trois heures d’appel téléphonique, dix brunchs, une sortie au dancing, vingt cinémas, deux concerts de punk, du carrot cake au Marmite, un voyage au Mali et l’amour de ma vie. Mais voilà, j’y pense tous les jours, ça me hante, et je n’arrive qu’à blâmer cette saloperie de temps qui se dérobe et me fait passer pour une conne. Pourtant, c’est un peu moi aussi qui ai peur de l’hiver, une maison à tenir, un boulot trop prenant, d’autres amis que toi et une flemme sans pareil. J’ai de l’orgueil, vois-tu, une espèce de putain d’orgueil qui fait que je me prends pour un surhomme capable de plier les éléments à mes caprices alors que je ne suis qu’une toute petite femme, pleine de moiteur et de lâchetés. Mais, puisque tu es toujours là, dans une des pages de ma vie, laisse-moi glisser sur la violence de ton archet, me lover dans les cordes de ta deuxième femme, jongler avec les concepts de ton réseau et prier pour que tu écrives enfin. Parce qu’il nous aura, à la fin, malgré tous nos pieds de nez et toute notre fierté, c’est une pauvre seconde qui nous emportera.
Reçois donc mes sincères condoléances pour le neuf, avec ma plus libidinale sympathie pour ton oreille gauche, mes hommages à ton genou droit et tout le mépris qui se doit à ton cerveau brillant.
Je t’aime
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