Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

barbe jaune

Je ne sais plus comment ça commence, mais sait-on comment commence un rêve ?

Mama Sam, journaliste à ses heures perdues et utopiste à temps complet s’était toujours complu dans son malheur de femme entière. Dire, expliquer, montrer et démonter : ses points cardinaux. Du nombril aux globes oculaires, le poids du monde la faisait vibrer comme un cd rayé. En voyage au Malice pour y concocter un documentaire sur les requins de terre, ces petites spatules à pic malsaines au point de toujours se jeter sur le cul des autochtones, elle comptait sur son plan cul parisien pour être publiée dans une revue révolutionnairement conformiste à son retour en métropole. C’est dire ce qu’elle avait compris du sujet à traiter.

Sur place, un vieux con profondément manichéen lui servait de guide. Ami d’un ami assez louche de sa mère, le fait de le voir rouler en pick up flambant neuf l’avait à peine blasée. Les ailerons de la bête rutilaient sous le vilain soleil qui s’amusait à accueillir les touristes pourtant peu nombreux du piteux aéroport à coup de brûlures violentes et vulgaires comme des morpions. Eblouie, Mama tira sur la laisse de sa valise à pâtes en direction du seul blanc à barbe aux alentours.

« Professeur Schnockite ?
- Yo.
- Je suis Mama Sam et il me semble que vous êtes ici pour m’accueillir et me servir de guide lors de mon séjour. »

Un sourire niais défigura le bonhomme et fendit sa barbe pour mettre à jour des dents aussi jaunes que le pelage de sa face.

« Mama Sam, quel nom idiot ! Mais heureusement que vous êtes là : j’étais accoudé à cette balustrade depuis des lunes et, ne connaissant pas la raison de ma présence ici, je n’arrivais pas à m’en défaire. Nous dirons donc que votre venue a libéré le génie de sa lampe, qu’il vous accorde trois vœux et que vous avez déjà cramé deux des trois cartouches : accueil et guide…Ce qui m’étonne au fond, c’est la rapidité avec laquelle vous êtes passée à côté de l’opportunité de faire des vœux plus pertinents. Admettons que vous ayez souhaité une richesse sans fin, vous auriez pu vous payer des guides tellement hype et échapper à mon incompétence, vous auriez même pu en profiter pour visiter des coins bien plus chouettes que le Malice ! Mais faire ce souhait maintenant serait absurde, n’est-ce pas, puisqu’il s’agirait du dernier et que ça ne vous assure certainement pas le bonheur. Seriez-vous par hasard aussi idiote que votre nom le laisse entendre ?
- Comment pourrai-je répondre à une question aussi intime ? L’idiotie est une maladie héréditaire et incurable, on le sait. Ma mère y a échappé ; quand à mon père, il n’existe pas.
- So much for the insanity. L’accueil sera donc notre première étape. »

Aucun commentaire: