
Maria : belle jeune femme blonde, en tailleur, maquillée comme une vieille. Menottée à un radiateur, d’elle émane une puissance absolue. Comme la voile pendue au mât lorsque le vent décide que c’est elle qui fait sens, que c’est d’elle que naîtra la libération totale : le mouvement.
L’enquêteur : jeune homme avec des manières d’éternel vieux.
L’amie : brune, belle, jeune. Elle est douce et rassurante.
Les geôliers : trois hommes, en arrière plan. Leur visage exprime un dégoût absolu pour la blonde et une admiration sans borne pour la brune.
Une pièce énorme. Des murs sales. Une lumière blafarde issue de méchants néons. Les participants sont déjà exténués, comme s’ils étaient là depuis des jours.
L’enquêteur : Obstinée. C’est précisément ce que vous êtes, à vous taire comme ça, comme si on vous insultait. Mais il faut comprendre, merde. Vous vous prenez pour qui ? Vous n’êtes pas seule au monde. Et les massacres au Rwanda, putain ! Comme si votre petit nombril était le centre du monde ! A bosser pour le gouvernement et à snober le vote. Il y en a qui sont morts pour que vous l’ayez, ce droit, putain. Merde. A force de trop vous lire on aurait presque fini par penser qu’ils étaient morts pour rien, les juifs. Vous devriez avoir honte, putain. C’est une tragédie, c’est la fiente de l’homme moderne, c’est notre héritage à tous. Et puis à force de mentir, ils en ont perdu la tête… Femme battue mon cul, mais vous attendiez quoi ? Qu’ils vous bénissent pour la merde que vous fourriez dans leur crâne ? On pourrait presque vous traiter de salope ! « Toujours vraie », que vous disiez, c’est écrit dans tous les rapports. Toujours vraie, et puis quoi encore ? Vous savez bien que c’est impossible, parfaitement impossible, que toutes vos élucubrations ne traduisent qu’une chose : votre folie.
Il se tait, comme blessé par ses propos. La belle brune le regarde, les larmes aux yeux. Silence complice. Elle avance vers son amie menottée. Cette dernière est gonflée comme une voile, le visage éteint : plus puissante que jamais. La brune s’accroupit, lui caresse les cheveux.
La brune : Ma belle, tu sais bien que personne n’a voulu ça. C’est pour ton bien. Elle lui embrasse le front. Ils t’ont tellement pourri la vie. C’est déjà un miracle que tu aies si bien réussi. Aide-nous à te comprendre, lève les quelques-uns des doutes qui irritent l’enquêteur et tu pourras rentrer. Il y a une place dans une clinique pour toi, tu verras, ils prendront soin de toi. On pourra se faire masser. Il paraît même qu’ils ont une esthéticienne hors pair.
La blonde tourne lentement son visage vers elle, dure, froide. Rien ne sort.
L’enquêteur : Vous êtes trop naïve, madame. Votre amie est dangereuse. Officiellement athée, voire anticléricale, on a trouvé deux bibles, une édition des quatre évangiles, un chapelet et une superbe icône représentant la vierge à l’enfant dans son appartement.
La blonde émet un cri déchirant : Mon icône. Mon icône. Marie si belle, découpée sur l’or. Vous ne pouviez pas faire ça, vous ne deviez pas y toucher !
L’enquêteur : Et ça se dit insensible. Je vous l’ai dit : il fallait y penser avant. C’est trop tard maintenant. Aujourd’hui, on fait les comptes. Et vous êtes bien mal barrée.
Les trois balourds acquiescent. L’un d’entre eux est en train de consoler la brune. Visiblement ravi qu’une telle opportunité se présente à lui.
L’enquêteur : Imaginez : on n’arrive pas à savoir de quel bord vous êtes. Vos textes dégueulasses plaisent aux femmes qui aiment les femmes et vous dites n’avoir jamais goûté ? Vous manifestez avec la gauche prolétaire et fréquentez la droite homophobe. Vous êtes un scandale total. Le pire, peut être, pour une personne comme vous, enfin moi à votre place, c’est la façon dont vous nous dénigrez. Vous n’aviez qu’à rentrer dans votre île. Personne ne vous retenait.
Des larmes coulent sur les joues de la jeune femme. Son amie s’élance vers elle.
La brune : Je sais que tu souffres. Laisse-moi t’aider. Tu verras, on va tout expliquer à l’enquêteur et après, je te le promets, on prendra bien soin de toi. Tu oublieras ce lieu, cette douleur. Je te le promets. Elle se tourne vers l’enquêteur. Monsieur, je sais que vous voulez, comme moi, que cette histoire se termine. Que mon amie avoue. Que vous puissiez rentrer chez vous. Croyez-moi, je le souhaite autant que vous. Ce lieu m’est inhabituel et cette ambiance détestable. Je vous en prie, essayons d’aider mon amie !
L’enquêteur : Aider votre amie ! Et elle, dites-moi, qui a-t-elle aidé ? Je prends son rapport : son père, mort dans une solitude sans nom. Alors qu’elle était tout ce qui lui restait. Vous entendez ? Tout ce qui lui restait ! Ensuit les hommes, le défilé des amants. Elle leur donnait tout, avec son air candide. Ils y croyaient. Et puis, elle disparaissait. Donner le goût de la vie et transformer le tout en cendres. Et vous dites que c’est un malentendu, que ce n’est pas de sa faute ?
La blonde : Mais il fallait m’écouter. Je parle aussi, je ne fais pas qu’écrire.
L’enquêteur : Ta gueule ! Je parle à ton amie, je lui explique quelle femme perfide tu es ! Putain, je n’arrive pas à y croire, même les femmes, tu les bernes.
La brune regarde l’enquêteur, puis son amie. Ses yeux font des va-et-vient entre les deux. Comme folle, perdue. Son regard s’arrête sur la blonde. Elle a un haut-le-cœur. Elle court vers le fond de la salle, le dos au groupe, et elle y vide ses tripes.
L’enquêteur : Tu vois, salope, tu vois ce que tu fais. Ton amie, ta douce et tendre amie. Je ne sais pas comment tu as fait pour l’avoir, celle-là, tu ne la mérite pas. Et bien, elle te voit enfin, telle que tu es. Misérable vautour. Et ça lui fout la gerbe ! Pourquoi, c’est tout ce qu’on veut savoir, pourquoi ? Qu’est-ce que t’es allée foutre dans cette galère. Et surtout, pourquoi tu n’as pas pu te la fermer ? Putain, le mythe de l’identité nationale, ça fonctionnait bien, ça nous fédérait tous. Et il a fallu que toi, ton nombril de merde et toi, vous veniez tout foutre en l’air. Nous dire des conneries, nous rendre la vue. On ne t’avait rien demandé, merde !
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