Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

Ava

Happiness, hit her like a train on a track / Coming towards her, stuck still no turning back / She hid around corners and she hid under beds / She killed it with kisses and from it she fled / With every bubble she sank with a drink / And washed it away down the kitchen sink

Ils n’ont jamais voulu nous dire ce que ça faisait d’avoir ce passé-là. Ils nous redirigeaient vers les textes écrits et les films produits sur ça. Ils nous disaient que comprendre, ça n’existe pas. Que les choses sont ce qu’elles sont. Que c’est comme ça. Une histoire de martyr. Un truc du passé dont on ne peut se débarrasser qu’en trouvant un juste équilibre entre mémoire et oubli. Ils savaient Ava. Ava qu’avait l’âge du grand frisson et qu’avait pas pu résister à l’appel du mâle. Beau, blond. Ava qui disait que l’apocalypse était déjà là. Qu’il ne servait à rien de vivre si on ne pouvait faire ça. Se pendre au bras d’un beau mâle blond. Ils ne disaient que ça. Au sujet d’Ava. Qu’ensuite elle était partie là-bas. Que c’était autant la faute de la mère du beau mâle blond que la sienne, à Ava. Etant donné qu’eux avaient fui.

Pour nous Ava c’est pas grand-chose. Lointain dans le sang. Si Ava n’avait pas fait ça, le beau mâle blond, on ne l’aurait probablement pas connue. Mais Ava avait vécu malgré tout et Ava en était morte, comme prévu. C’est pour ça. Pour Ava et à cause de leur capacité à considérer que c’était prévu. Alors on a pris le train un jour en plein hiver. Nous aussi. On savait pas trop pourquoi. C’était un geste intime. Un geste politique. Un geste dont on n’attendait rien. Le problème une fois sur place : la brume. L’étendue. Le contraire de ce qu’ils nomment « à perte de vue ». Comme des cons, les choquottes. C’était banal : un lieu réel, avec des murs réels, des barbelés réels. C’était atroce : la météo de science fiction. On a ri au moment où on a pensé qu’il ne manquait plus que les monstres dégoulinants. On a ri parce qu’on ne pouvait pas pleurer.

Après on a pensé à Ava et on s’est demandés si marcher sur ses pas pourrait la ressusciter. On s’est surtout interrogés sur l’Histoire. Parce qu’après tout pourquoi pas. La femme prophète. L’apocalypse qu’est déjà là. Dans les baraques à frites, les bus scolaires, les appareils à faire de la photographie. Comme si on pouvait photographier la négation de la mort. Saisir l’ampleur de l’horreur.


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