Cet amour-là

"Elle dit: non, ne pleurez pas, ce n'est pas triste, en rien, en aucun cas. Il s'agit de vous et de pas vous, oubliez votre personne, ça n'a aucune importance. Il ne faut pas se prendre pour un héros. Vous êtes rien. C'est ce qui me plaît. Restez comme ça. Ne changez pas. Restez. On va lire ensemble."

Yann Andréa

L'emprise

Sur une péniche anglaise longue et basse, bordeaux vieilli et crème très riche s’alignent horizontalement pour séparer la coque de l’eau. Un canal verdoyant aux écluses superposées qui se dressent à l’horizon. Des bégonias en veux-tu en voilà. C’est que c’est mon confident, mon emprise.

L’eau, elle luit comme le plomb. Elle doit sûrement coller à la peau et marquer les corps des quelques nageurs de façon indélébile.

Dans la cabine bien ombragée, les fantômes du passé sont caressés. Le sordide se solidifie, se transforme en lingot. Le pourri est illuminé, icône dorée de nos jeunes années. Et la laideur, elle, est d’une candeur à transcender toutes les lèpres du monde. C'est la paix.

Mais voilà, le gras veut savoir. Son embonpoint envahissant irradie en éclairs sur ma vie et glisse, se fraye un passage dans mes entrailles tordues.

Il cherche. Il trouve.

Et demain, sur le pont ensoleillé, assis à la table du maître au corps inconnu, il squatte. Devant un festin, la bouche et les mains pleines à craquer, il sourit et, de ses yeux avides, dévore le décor d’une existence qu’il voudrait faire sienne.

Je déglutis, je le vomis. Flot incessant de mes sombres frayeurs, je traverse les époques et suis éternelle. Tu m’écœures, il m’écœure, vous m’écœurez à jamais.






Füssli, "Le cauchemar".
Illustration de L'emprise, roman de Sarah Chiche paru ce mois chez Grasset

Aucun commentaire: