Elizabeth a deux gamines. Elles sont belles. Différentes et
belles. Elles ont tout pour elles. Plutôt bien nées. Juste assez différentes
pour se compléter. L’éducation qui va bien. L’habitude des voyages et un
soupçon de folie. Elizabeth les trouve pas mal, ses jolies. Elle les aime bien.
Le truc c’est qu’Elizabeth a beau les trouver belles, leur vouloir du bien, les
coiffer pour les montrer, parfois elle aimerait bien avoir de l’air Elizabeth.
Revenir en arrière. Pouvoir prendre son sac et se tirer avant que leur père,
aux deux fillettes, ne finisse de lui flinguer sa vie, de lui dévorer son âme. Parce
que leur père a beau avoir des gènes chouettes, de dandy romanesque, il
vieillit. Son nez c’est moins beau. Ses joues c’est lourdeau. Ses yeux ont l’air
plus fumeux que profonds. Ses traits creusés. Ses mains agitées.
Et puis Elizabeth a ce corps qui a faim. Qui est beau. Qui
est femme, pas que mère. Ce corps qu’il voit plus, lui le père. Celui qui
préfère boire. Qui se fout de lui plaire. Et les robes et les jupes et les
ongles rouges pour rien ça fatigue. Et les filles qui sont belles et elle qui
est femme. Qui ne veut pas mourir dans le mirage bourgeois. Qui cherche dans l’autre
homme. Celui qui aime son cul plus que ses gosses. Qui y cherche la porte de
sortie. Le droit d’asile. L’issue. L’espace autre. L’impossible endroit où elle
pourrait être un peu mère, de nouveau femme. Là où elle pourrait nourrir les
gamines à leur faim sans oublier la sienne. Pouvoir prendre l’air. Enfin. Un nouveau
jeu, une autre donne.
Bien entendu, Elizabeth fait semblant. Ne pas voir. Le drame
pour les gamines. Mais pour leur bien. L’illusion de l’ailleurs. Qu’elle a déjà
tenté. Qui a déjà échoué. Qui n’est pas là où on le croit. Mais le courage d’Elizabeth
qui se tire avec ses gamines sous le bras. Qui les emmène à l’autre bout du
monde sans moyens ni raison. Qui leur explose tous les codes. Qui déchire leurs
robes chasubles. Qui les balance dans une basse cour avec un sécateur. Qui leur
donne à elles aussi accès à la profondeur, à la perspective, aux mouvements du
monde. Au réel sans fard. Le putain de courage d’Elizabeth.
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